Association de la guerre électronique de l’armée de terre
Renseignement et cyberdéfense érigés en priorités ! Oui, mais … !
28 août 2013.
Voici quelques mois, la commission en charge du nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) rendait ses conclusions à l’aune des orientations fixées par le Président de la République.
Ces conclusions confirment et renforcent notamment celles déjà présentées dans l’édition 2008 relatives au renseignement, un des éléments constitutifs majeurs de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », ainsi que celles portant sur la cyberdéfense, les élevant même au rang de priorités.
L’affaire SNOWDEN et la révélation du programme PRISM de la NSA donnent une acuité toute particulière à ces conclusions.
L’unanimité prévaut quant à leur pertinence et à leur priorité, et le projet de loi de programmation militaire (LPM) prévoit de les concrétiser, à l’heure où des choix douloureux s’imposent au sein du ministère de la défense.
Néanmoins, aussi positif que soit le constat issu du livre blanc et du projet de LPM, il semble qu’une ultime étape ait été omise dans le domaine électromagnétique pour atteindre la cohérence globale.
Le constat pour le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM)
L’une des conclusions du LBDSN évoque la nécessité de se doter d’une capacité spatiale de renseignement d’origine électromagnétique qui constitue une composante essentielle du dispositif de recueil du renseignement.
Dans ce domaine, la volonté n’est pas nouvelle. Plusieurs démonstrateurs ont été lancés tant pour traiter des interceptions de systèmes de télécommunications que de systèmes de détection (radars).
En effet dès 1995, deux charges utiles sont lancées (Euracom et Cerise) pour explorer la capacité de caractériser les émissions électromagnétiques de moyens de télécommunications et de radars. Suite à une collision avec un débris spatial, le satellite « Cerise » est remplacé par « Clémentine » en 1999. En 2004, quatre microsatellites (système « Essaim ») ont été lancés en même temps que le satellite d’observation Hélios 2A. Cette constellation de microsatellites vise à évaluer la capacité non seulement de caractérisation, mais surtout de localisation des émissions électromagnétiques, plus particulièrement celles relatives aux moyens de télécommunications. En décembre 2012, la constellation « Elisa » composée également de quatre microsatellites, a été lancée afin de caractériser et localiser les émissions radars.
Ces deux dernières constellations devraient préfigurer le futur système spatial de renseignement d’origine électromagnétique « Cérès » à l’horizon 2020.
On ne peut qu’approuver la décision de poursuivre sur la voie déjà tracée afin de disposer, in fine, d’une capacité spatiale pour le ROEM.
De même, le LBDSN aborde le besoin de disposer de charges pour recueillir du renseignement d’origine électromagnétique montées sur des drones de moyenne altitude longue endurance (MALE).
Là encore, l’intégration de charges électromagnétiques sur un drone a été explorée, notamment avec un brouilleur embarqué sur un drone tactique « Crécerelle » à la fin des années 1990 et début 2000 avec d’excellents résultats.
Dans les Balkans, à défaut de disposer de drone « ROEM », des aménagements expérimentaux ont été réalisés avec des antennes « patch » sur hélicoptère Puma, également avec de bons résultats.
En 2000, le besoin opérationnel d’intégration à bord de drones tactiques avait fait l’objet d’un objectif d’état-major en vue de son inscription dans la loi de programmation militaire. Malheureusement, il n’y a pas eu de suite concrète.
L’ultime étape absente du livre blanc et du projet de la LPM
Si le renseignement d’origine électromagnétique dans le domaine du recueil technique est une composante essentielle à l’acquisition du renseignement, son prolongement naturel dans le domaine de lutte, qu’est la guerre électronique (GE) avec des actions offensives tels le brouillage contre les systèmes de télécommunications et de radars adverses, la destruction de composants électroniques par armes à effet dirigé ou bien encore l’intrusion, ne doit pas être occulté. Ce volet est tout aussi important, voire vital, pour la protection ou l’appui des troupes au sol, des aéronefs ou des plates-formes maritimes.
Un exemple particulier met en exergue ce prolongement : la lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI ou Improvised Explosive Devices -IED- en anglais).
Les pertes américaines subies en Irak et celles de la coalition engagée en Afghanistan sont pour l’essentiel dues à des IED. Aussi, lors d’un conseil européen des ministres de la défense, la décision de se doter d’un laboratoire d’analyse criminologique fut-elle prise afin de se donner les moyens de lutter efficacement contre ce fléau au niveau du théâtre afghan. Cette décision figurait parmi les 12 priorités capacitaires de l’Agence Européenne de Défense qui a assuré le financement de la réalisation de ce laboratoire, la France étant nation cadre de ce projet.
Les constatations et les analyses scientifiques, qui sont conduites à l’issue de chaque explosion d’un IED ou à partir de matériels récupérés au cours d’opérations de fouilles, permettent de déterminer la nature et l’origine des composants de l’IED ainsi que son mode opératoire, voire les empreintes digitales des manipulateurs. L’ensemble de ces éléments incrémente une base de données qui sert aux différents services de renseignement, sur le théâtre entre membres de la coalition et au plan national en interministériel, pour rechercher les filières d’approvisionnement afin de les démanteler.
Mais cette base de données fournit également des informations précieuses sur les systèmes radiocommandés qui déclenchent l’explosion de l’IED tels : les téléphones portables, les émetteurs de sonnette sans fil, les télécommandes de portail, de porte de garage, de jouets, etc.
A partir des caractéristiques radioélectriques et en fonction de l’évaluation de la menace (qui est une action de renseignement), il devient possible de paramétrer efficacement les systèmes de brouillage intégrés sur les véhicules dédiés dans un premier temps, puis sous forme de kit sur un certain nombre de véhicules non spécifiques répartis dans un convoi.
On constate, qu’il y a bien continuité entre le domaine du renseignement pour contrer les filières terroristes et le domaine de lutte pour en neutraliser les effets sur le plan radioélectrique.
Mais en se plaçant dans un contexte interministériel, ce type de démarche peut s’élargir à d’autres types de menace telle qu’une prise d’otage de masse où l’armée de terre en particulier peut contribuer à la neutralisation des réseaux radioélectriques de coordination des preneurs d’otages, pour peu qu’elle dispose des moyens adéquats.
- Brouilleur sur véhicule blindé
Dans le domaine du brouillage, un effort reste absolument nécessaire pour moderniser les moyens dont disposent les forces terrestres, compte tenu de l’évolution rapide et de la diversité des cibles potentielles. Pour faire le lien avec la menace due aux IED, l’armée de terre a dû acquérir en urgence opérationnelle des matériels disponibles sur étagère par manque de brouilleurs adaptés. De même, la satisfaction du besoin en brouillage lors d’opérations terrestres contre les insurgés n’a pu être réalisée qu’avec un appui complémentaire fourni par des capacités aéroportées alliées.
Par ailleurs, le livre blanc fixe un nouveau contrat opérationnel aux forces armées qui se décompose en missions permanentes et non permanentes.
Dans le cadre des missions permanentes, « les forces terrestres pourront engager jusqu’à 10 000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure, renforcés des éléments aériens et maritimes adaptés ».
Contributeur et acteur de la fonction « Connaissance et anticipation », les forces terrestres en particulier consacrent au quotidien certaines de leurs ressources à la mise en œuvre permanente de capacités ROEM pour la veille stratégique.
Elles devront également, au titre de la capacité de réaction autonome aux crises, contribuer à un échelon national d’urgence de 5 000 hommes en alerte, permettant de constituer une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes, projetable à 3 000 km du territoire national ou d’une implantation à l’étranger, dans un délai de 7 jours. Des moyens de renseignement d’origine électromagnétique et de guerre électronique font partie de cet échelon d’urgence.
Pour les missions non permanentes d’intervention à l’extérieur de nos frontières, le livre blanc prévoit des opérations de gestion de crise, dans la durée, sur deux ou trois théâtres distincts dont un en tant que contributeur majeur. Le total des forces engagées à ce titre sur l’ensemble des théâtres sera constitué, avec les moyens de commandement et de soutien associés :
de forces spéciales et d’un soutien nécessaire à l’accomplissement des missions envisagées ;
de l’équivalent d’une brigade interarmes représentant 6 000 à 7 000 hommes des forces terrestres, équipés principalement avec des engins blindés à roues, des chars médians, des moyens d’appui feu et d’organisation du terrain, des hélicoptères d’attaque et de manœuvre ;
d’une frégate, d’un groupe bâtiment de projection et de commandement et d’un sous-marin nucléaire d’attaque en fonction des circonstances ;
d’une douzaine d’avions de chasse, répartis sur les théâtres d’engagement.
Parmi les moyens de soutien associés, il faut entendre des moyens de renseignement électromagnétique et de guerre électronique, tant en systèmes de capteurs qu’en systèmes de traitement des données interceptées et en systèmes offensifs (brouillage, intrusion, etc.) tant au niveau opératif que tactique.
L’ensemble de ces moyens contribuent directement à l’autonomie d’appréciation de situation et d’action quels que soient le type de mission et le niveau d’emploi (une information recueillie au niveau tactique peut avoir des conséquences au niveau stratégique et réciproquement).
Une évaluation de l’adéquation de l’existant au besoin, notamment en moyens offensifs de guerre électronique, s’impose afin de mesurer la faisabilité de répondre à l’ensemble du contrat opérationnel tel qu’il est fixé, en particulier au niveau tactique.
S’il fallait encore un argument supplémentaire pour se convaincre de la nécessité de moderniser, voire d’augmenter, les moyens offensifs de guerre électronique en dotation, il suffit de constater comment la cyberdéfense traite d’emblée la cohérence globale de son domaine. Pour cela, voyons l’approche doctrinale telle qu’elle est mentionnée dans le LBDSN :
« Une doctrine nationale de réponse aux agressions informatiques majeures :
Une politique de sécurité ambitieuse sera ainsi mise en œuvre afin d’identifier l’origine des attaques, d’évaluer les capacités offensives des adversaires potentiels et l’architecture de leurs systèmes, et de pouvoir ainsi les contrer. Le principe d’une approche globale sera fondé sur deux volets complémentaires : la mise en place d’une posture robuste et résiliente de protection des systèmes d’information de l’État, une capacité de réponse gouvernementale globale et ajustée face à des agressions de nature et d’ampleur variées faisant en premier lieu appel à l’ensemble des moyens diplomatiques, juridiques ou policiers, sans s’interdire l’emploi gradué de moyens relevant du ministère de la défense, si les intérêts stratégiques nationaux étaient menacés. Une capacité informatique offensive, associée à une capacité de renseignement, concourt ainsi de façon significative à la posture de cybersécurité ».
Conclusion
Les priorités affichées dans le livre blanc et dans le projet de la loi de programmation militaire au profit du renseignement sont indubitablement une avancée positive. Cependant, à l’instar de la cybersécurité, la capacité de renseignement d’origine électromagnétique se doit d’être prolongée dans le domaine de lutte par un renforcement des capacités offensives de la guerre électronique afin d’atteindre la cohérence globale pour couvrir l’ensemble « du champ de bataille électromagnétique ».
Souhaitons que la dernière marche ne soit pas ratée et que les responsables budgétaires sachent être à l’écoute du besoin opérationnel qui s’inscrit dans une approche plus globale des opérations électroniques ou du cybercombat sur lesquels une réflexion est menée depuis 15 ans déjà. Cette réflexion prônait notamment la combinaison des moyens de lutte des domaines informatique et électromagnétique.
J-M D
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Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019