Association de la guerre électronique de l’armée de terre

Les écoutes secrètes françaises pendant la Première Guerre Mondiale (I)
29 août 2013.
Le suivi de la Bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises
Références bibliographiques
- La première guerre mondiale du Général J.E. VALLUY avec la collaboration de Pierre DUFOURCQ – Larousse 1968
- JOFFRE de Arthur CONTE – Club France Loisirs avec l’autorisation des éditions Olivier Orban 1991
- Mémoires du Maréchal JOFFRE 1910-1917 – Plon 1932 (Tome 1)
- La guerre racontée par nos généraux du maréchal FAYOLLE et du général DUBAIL – Librairie Schwartz 1921
- Archives du Service Historique de la défense / Terre / cotes 1 K 686 et 16 NN 260
Nota : Ces références sont valables pour toutes les publications à venir jusqu’au 14 septembre 2013.
Préambule
Pour parler de la bataille de la Marne après un mois de guerre, certains n’hésitent pas à utiliser le vocable de « miracle » en ce début de septembre 1914, tant les armées françaises, anglaises et belges furent bousculées avant d’engager un « spectaculaire » redressement.
Mais qu’en est-il réellement ?
Pour tenter de dégager une vision la plus objective possible sur un plan historique, voyons quel fut le rôle méconnu du service des écoutes français dans le sort de la bataille, en nous appuyant sur les procès-verbaux d’interception (PVI). L’ensemble des stations TSF françaises (Mont-Valérien, Tour Eiffel pour Paris, Verdun, Toul, Epinal, Belfort, Lille, Besançon) contribuèrent à ces interceptions.
Afin de bien appréhender leur précieux contenu (mettant en évidence le rythme, les lieux, les axes de progression et les intentions des armées allemandes ainsi que leurs difficultés, notamment de transmissions et de ravitaillement) et l’apport qui en résulte sur l’appréciation de situation pour le 2ème bureau du GQG (en charge du renseignement au Grand Quartier Général), nous relaterons les actions allemandes sur la base de ces PVI en les corrélant avec celles des armées française et anglaise.
Entre le 28 et le 31 août, près de 400 messages seront interceptés. Du 1er au 14 septembre, environ 1300 interceptions contribueront à suivre les mouvements et les vicissitudes des armées allemandes.
A la section du chiffre du cabinet du ministre et au GQG, les spécialistes en cryptologie, se démènent sans compter pour décrypter un maximum de télégrammes interceptés et les interprètes de les traduire sans relâche afin de fournir au 2ème bureau des éléments de grande valeur sur le plan du renseignement. Malgré les difficultés liées aux différentes clés de chiffrement utilisées par les allemands, nombreuses sont les indications permettant de suivre la progression des armées allemandes. Cela découle, en particulier, des noms de lieu qui ne sont pas camouflés, des erreurs d’opérateurs ou des contraintes dues à l’urgence de la transmission qui les poussent à émettre en clair et des très nombreuses répétitions de transmission demandées.
Par ailleurs, les règles d’utilisation des moyens de TSF dans les armées allemandes, notamment par l’usage d’indicatifs radio permanents, permettent rapidement au service des écoutes français de remonter l’organisation des réseaux au sein de chacune des armées ennemies comme le montre le schéma ci-contre et donc de rapidement faire le tri des messages propres à chacune de ces armées pour une exploitation plus rapide.
L’ensemble de ces travaux est bien évidemment couvert par le plus grand secret.
Il faut attendre la publication des mémoires du Maréchal JOFFRE en 1932 pour voir évoquer ponctuellement l’interception de « radios » allemands comme source de renseignement.
Les journées précédant la bataille de la Marne
Avertissement : Pour une rapide visualisation cartographique, certains noms de localité sont suivis entre parenthèses d’une précision de localisation par rapport à une autre ville plus repérable sur une carte. Ces précisions ne figurent pas dans le contenu réel des messages interceptés.
Journée du 29 août 1914
Retrouvons la 5° armée française commandée par le Général LANREZAC qui, rappelons-le, avait reçu, le 27 août, l’ordre de JOFFRE de lancer une attaque en direction de Saint-Quentin afin de soulager le Corps Expéditionnaire Britannique (CEB) du Général FRENCH en pleine retraite.
Face à lui Von BÜLOW et la II° armée allemande encadrée, à l’ouest, par Von KLUCK et la I° armée qui progresse en direction de Péronne-Roye, et, à l’est, par Von HAUSEN et la III° armée en direction de Rocroi-Rethel.
Durant la journée du 28, LANREZAC réorganise son dispositif afin de lancer son action principale en direction de Saint-Quentin tout en se couvrant face au Nord et à l’Est.
Le 29 au matin les premières colonnes franchissent l’Oise en direction de Saint-Quentin. Mais à 9 heures, les troupes en flanc-garde au Nord (10ème Corps d’armée) sont attaquées par les éléments de la IIème armée qui franchissent l’Oise supérieure entre Guise et Etréaupont. La résistance héroïque des Bretons du 10ème Corps bloque l’avancée allemande, allant même jusqu’à faire reculer la Garde prussienne.
L’action principale envisagée initialement à l’Ouest vers Saint-Quentin bascule en direction du Nord.
Ainsi les interceptions rapportent-elles les violents combats auxquels la II° armée est confrontée dans un échange de télégrammes entre la II° armée et la III° armée qui se trouve à sa gauche :
12h 58 « Aile gauche de la II° armée prise dans violents combats sur la ligne Guise-Etréaupont ».
A 13 h 02 la II° armée sollicite l’aide de la III° armée : « Intervention précoce de la III° armée vers Vervins (sud Etréaupont) très souhaitable ».
A 17 h 31, la III° armée informe la II° armée de la position de son centre de gravité et de sa situation : « Troisième armée plus vers Signy-l’Abbaye. Ennemi défait vers le sud et l’est ».
Et de continuer à 17h37 : « Le 30 marche vers l’est avec l’aide d’une reconnaissance aérienne de la IV° armée vers le sud vers Marle, Montcornet. Retraite ennemie vers Laon » .
Cela laisse peu d’espoir de la voir intervenir au profit de la II° armée, mais fait planer une menace sérieuse sur la droite méridionale de la 5° armée de LANREZAC.
La II° armée devra faire avec la I° armée qui se trouve à sa droite, à l’ouest de l’Oise.
Le Général Von BÜLOW évoque le même soir, à 22 h 48, le bilan des combats de la journée et son intention : « Armée remporte aujourd’hui héroïque combat entre Essigny-le-Grand, Voulpeix à l’ouest de Vervins. Attaque continue sur l‘aile droite au-delà de l’Oise. Possible intervenir au sud La Fère sur l’arrière de l’ennemi ».
Cette intention met en évidence, là aussi, une menace de la I° armée sur la gauche de la 5° armée de LANREZAC, d’autant que la toute nouvelle 6° armée confiée au Général MAUNOURY ne peut s’établir comme prévu en avant d’Amiens compte tenu de l’avancée de la I° armée allemande comme l’indique un compte rendu de Von KLUCK :
« ligne atteinte par aile droite Chaulnes, Lihons, Rozières-en-Santerre (tous situés au Sud-Ouest de Péronne). QG armée Péronne. »
De même, ces interceptions dévoilent l’intention du Général Von KLUCK à la tête de la I° armée allemande de réorienter son axe de marche en direction de l’Oise alors qu’il devait se diriger initialement sur la basse Seine par Beauvais en demeurant à l’ouest de l’Oise (cf. plan SCHLIEFFEN).
Voici la directive qu’il adresse au Général MARWITZ commandant le 2° corps de cavalerie le 29 août à 22 heures 25 : « marche à l’est Roye, reconnaissance Noyon. Signé I° armée » .
Ces écoutes vont encore éclairer le GQG et Joffre sur la suite de la progression des armées allemandes marchant à l’ouest. Elles mettront en évidence le changement de direction de la I° armée qui, rappelons-le, devait contourner Paris par l’ouest et le sud.
A suivre demain ....
J-M D
