Association de la guerre électronique de l’armée de terre

Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journée du 5 septembre 1914
5 septembre 2013.
Dans la nuit du 4 au 5, JOFFRE envoie un officier de liaison porteur de l’ordre général n° 6 auprès du GQG de FRENCH afin de le convaincre, dès la première heure, de l’importance de son adhésion à la manœuvre générale.
Durant la nuit, la 6° armée de Maunoury rejoint ses bases de départ au nord-ouest de Meaux.
Tôt dans la matinée, JOFFRE se résout à solliciter l’appui politique et diplomatique en adressant une lettre au ministre de la guerre, M. MILLERAND, tant la contribution anglaise s’avère indispensable à la réussite de son plan.
En complément de l’ordre général n° 6 destiné aux armées de la gauche (6°, CEB, 5° et 9°), JOFFRE expédie des ordres complémentaires aux 3° et 4° armées.
Pendant ce temps, côté allemand, la V° armée rend compte aux premières heures de la journée de son avancée qui coupe la place forte de Verdun de l’ouest du front : « 5° armée, le 5 septembre, fini de couper Verdun de l’Ouest, 2 corps à travers Argonne jusqu’à les Charmontois, Triaucourt-en-Argonne (tous Sud Sainte-Menehould). Commandant en chef armée Varennes-en-Argonne » .
Alors que l’aile droite allemande poursuit sa progression, Von HAUSEN (III° armée) rend compte à 02h20 au Commandement Suprême des dispositions qu’il a prises pour la journée du 5 en mettant son armée au repos :
« Le 5 cavalerie poussée avec quelque artillerie jusqu’à Villeseneux (Sud-Ouest Châlons-sur-Marne), Coupetz (Sud Châlons-sur-Marne). Pour le reste repos. QG armée à partir de 4 heures après-midi à Châlons-sur-Marne. 24° Division réserve atteint le 5 Avançon (Sud-Est Rethel). Armée a atteint le 4 la Marne sur ligne Athis (Ouest Châlons-sur-Marne), Châlons-sur-Marne. 12° Corps de réserve Sillery (Sud-Est Reims), 24° Division de Réserve Château-Porcien (Est Rethel) » .
Dans un télégramme adressé au GQG, la I° armée communique des renseignements sur l’ennemi : « Aile gauche de l’armée a rejeté Français sur Montmirail. Anglais dans région Coulommiers semblent en retraite vers Sud, Sud-Ouest. Transmettre à AC (Commandement Suprême) » .
Ce télégramme met en évidence la rupture dans la continuité du front entre le CEB et la 5° armée.
La 4° DC mise en couverture au nord et nord-est de Paris rend compte en fin de nuit d’un contact avec la cavalerie française :
« Chaussée Chantilly (Sud Creil), Luzarches (Sud Chantilly) occupée par cavalerie. D’après dires d’une patrouille de cuirassiers, il doit s’agir d’assez forte cavalerie près de Luzarches. Patrouille reçoit coups de feu à Plailly (Est Luzarches). Effectif et armes n’ont pu être reconnus » .
A l’aube, le Commandement Suprême informe la I° armée que sa demande relative à l’envoi de trains sur Château-Thierry ne peut être satisfaite compte tenu des destructions de la ligne entre Saint-Quentin et Soissons : « Utilisation de première ligne aussi longtemps que possible. La direction des chemins de fer militaires n° 1 est chargée du rétablissement de liaison Saint-Quentin, Soissons » .
Cette carence en transport logistique lourd ne sera pas sans conséquence dans les jours à venir.
Si l’aile droite allemande connaît des difficultés en approvisionnement, il en est de même pour le centre comme l’atteste la correspondance de la IV armée à la III : « Munitions peuvent être prises Sedan en cas de nécessité » .
Ces manquements touchent tous les domaines :
A la I° armée : « Pour que groupe à cheval de la 4° DC soit de nouveau prêt à combattre, matériels suivant nécessaires : 4 voitures à munitions avec attelages, équipement pour 8 voitures à munitions, 74 toiles de tente, 4 trousses à ferrer, 170 musettes mangeoire, 30 cordes d’attelage, 50 porte-traits, 30 kilogrammes de coulants de trait » .
A la IV° armée : « Approvisionnement de secours pour 3° DC demandé à Givry-en-Argonne (Sud-Ouest Sainte-Menehould) » .
En ce début de matinée, Von KLUCK envoie un télégramme en réponse aux ordres reçus en début de soirée lui fixant de demeurer entre Oise et Marne :
« Aile gauche 1° armée a rejeté Français sur Montmirail. Anglais dans région Coulommiers semblent en retraite vers Sud et Sud-Ouest. Armée avance le 5 septembre. Enemi sera attaqué où on le rencontrera. 9° CA Esternay (Ouest Sézanne), 3° CA Sancy (Nord-Ouest Coulommiers), 4° Choisy-en-Brie (Sud-Est Coulommiers), 2° Coulommiers, 4° Corps réserve Est de Meaux. 2° BC avec 4° DC couvrent flanc droit. 2° DC et 9° DC Provins. QG armée Rebais (Nord-Est Coulommiers). Route Artonges (Nord Montmirail), Montmirail, Le Gault-Soigny (Nord-Ouest Sézanne), Sézanne libre pour 2° armée » .
La quasi-totalité de la I° armée se trouve, ou se trouvera dans la journée, au sud de la Marne, trois corps étant même au sud du Grand-Morin.
La I° armée se fait vertement reprocher par le Commandement Suprême les difficultés de transmissions : « Rapports du 3 septembre 14h10 et 22h30 n’ont pas été reçus par AC. Ordre à VA du 4 septembre n’a pu être transmis que ce matin car auparavant on ne put avoir aucune communication, même par Cologne » .
Rappelons-nous le 3 septembre, journée au cours de laquelle, Von KLUCK usa de ces difficultés pour dissimuler son incartade.
Face à la désobéissance de Von KLUCK, le Commandement Suprême se décide enfin à réagir. De nouveaux ordres lui sont donnés. Nous n’en connaissons pas les termes, mais la correspondance suivante de la I° armée qui lui est adressée quelques heures plus tard le montre :
09h15 : « 1° armée est, par suite d’instructions précédentes du Commandement Suprême, en marche par Rebais et Montmirail vers la Seine. Deux CA couvrent des deux côtés Marne contre Paris » .
Vont suivre plusieurs télégrammes que Von KLUCK adresse au Commandement Suprême afin de faire valoir son point de vue :
09h30 : « Près Coulommiers, contact de combat avec trois divisions anglaises. Près de Montmirail, aile Ouest des Français, ces derniers opposent une forte résistance avec arrière gardes. Ils souffriraient beaucoup par poursuite continuée sur la Seine. Sont jusqu’ici poussés seulement de front et pas du tout chassés du champ de bataille. Leur retraite est Nogent-sur-Seine » .
09h46 : « A Paris, forces assez importantes supposées seulement en rassemblement. Fractions de l’armée de campagne y ont bien été amenées, mais il faut du temps……. » .
10h29 : « Je considère pour le moment comme moins favorable de ne pas tenir compte d’une armée de campagne tout à fait apte au combat et de déplacer les 1° et 2° armées » .
10h55 : « Poursuite jusqu’à Seine, ensuite investissement de Paris » .
12h41 : « L’investissement de Paris prescrit, une fois exécuté, cet ennemi aura liberté de mouvement vers Troyes. Avez-vous reçu la fin ? Pourquoi n’étiez-vous pas là ? Quand pouvons-nous recevoir réponse urgente ? » .
Pendant ce temps, l’officier de liaison envoyé au GQG de FRENCH est de retour. Il n’a pu avoir le moindre contact avec le commandant du CEB, ni avec son entourage. Il rend compte d’un nouveau recul des Anglais durant la nuit. Seul le généralissime peut emporter le revirement d’attitude des Anglais.
Aussitôt, JOFFRE se met en route pour Melun. A peine arrivé, il entre dans le vif du sujet en y mettant toute sa conviction : « L’heure est décisive, nous ne pouvons la laisser passer. Il faut aller à la bataille toutes forces réunies et sans arrière-pensée ! ». Et de poursuivre : « En ce qui concerne l’armée française, mes ordres sont donnés, et quoi qu’il arrive, je suis décidé à jeter mon dernier homme dans la balance pour remporter la victoire et sauver la France au nom de qui je viens solliciter de toutes mes forces le concours britannique. Je ne peux douter que l’armée anglaise ne vienne prendre sa part dans la lutte suprême. Son abstention serait sévèrement jugée par l’histoire ». Et de finir en tapant du poing sur la table : « L’honneur de l’Angleterre est en jeu, Monsieur le Maréchal ».
Court silence. Réponse de FRENCH : « I will do all my possible ». JOFFRE se fait traduire la réponse par WILSON, sous-chef d’état-major de FRENCH et favorable aux vues françaises : « Le Maréchal a dit oui ».
JOFFRE soulagé regagne son GQG qui s’est transporté à Châtillon-sur-Seine pour y suivre la suite des évènements.
Dans le prolongement des ordres donnés antérieurement par le Commandement Suprême pour priver Paris de ses liaisons par voies ferrées, la II° armée confie leur destruction à son corps de cavalerie : « Aile droite de 2° armée, le 5 midi Montmirail. Rupture voies ferrées sur Paris et vers sud est confiée au 1° CC » .
En début d’après-midi, la I° armée adresse un compte rendu au Commandement Suprême et à la II° armée : « CC marche d’abord seulement jusqu’à chaussée Rozay-en-Brie (Sud-Ouest Coulommiers), Béton-Bazoches (Sud-Est Coulommiers), Esternay (Ouest Sézanne). Laisser officier d’ordres Rebais (Nord-Est Coulommiers) où commandant 1° armée arrive à midi. Signé commandant 1° armée » .
A sa lecture, on peut s’interroger sur le retour à la raison de Von KLUCK après l’intervention du Commandement Suprême.
Mais visiblement celui-ci réagit à nouveau en envoyant un officier de son état-major auprès du commandant de la I° armée comme l’indique un télégramme à 14h42 : « Officier Commandement Suprême, seulement avec instructions verbales, en chemin » . Il s’agit du LCL HENTSCH, chef du 2° bureau en charge du renseignement.
En fin d’après-midi, quelques contacts, voire escarmouches, ont lieu entre les reconnaissances de la 6° armée et le 4° corps de réserve de la I° armée. Nous n’avons pas trace des éventuels comptes rendus côté allemand.
Cependant, la menace sur l’aile droite de la I° armée semble bien avoir été perçue comme l’atteste l’évaluation de situation de la II° armée (17h20) :
« Instruction du 4 septembre 7 heures soir sur 1° armée reçue aujourd’hui. Armée gagne le 5 Fontenelle-en-Brie, Nord-Ouest Montmirail, le Thoult-Trosnay et Bergères-sous-Montmirail (Sud-Est Montmirail). Intention ennemi probable pas accepter décision ici, veut, à ce qu’il semble, rassembler toutes ses forces encore disponibles par chemin de fer près Paris et Nord-Ouest sur flanc droit de l’armée pour obtenir par nouvelle offensive de ce point une tournure plus favorable. A l’instant, renseignement d’aviateurs sur important transports par chemin de fer par Romilly-sur-Seine, Nogent-sur-Seine en direction Ouest » .
Dans la foulée, elle rend compte et informe les armées voisines de son avancée : « 2° armée continue avec 1° CC centre et aile gauche, poursuite vers Seine » .
« Avant-gardes près Montmirail, Marigny (Sud-Ouest La Fère-Champenoise). Avance prochaine de 3° armée très désirée » .
Au centre, la IV° armée rend également compte dans la soirée de sa progression :
« Armée a forcé contre ennemi important passage du canal de la Marne au Rhin. Ennemi en partie encore dans les tranchées devant le front. A droite de la 4° armée, la 3° a attaqué. Demain continuation de l’attaque » .
La journée qui vient de s’écouler a été riche en évènements décisifs pour la suite de la bataille tant côté allié que côté allemand.
La journée du 6 septembre marquera le changement de bonne fortune entre les forces franco-anglaises et celles de l’Empire germanique.
A suivre demain
J-M D
