Association de la guerre électronique de l’armée de terre
Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journée du 7 septembre 1914
7 septembre 2013.
La veille, sur l’aile droite allemande, la I° armée a entamé ses mouvements pour se rétablir entre Marne et Oise comme le Commandement Suprême lui en avait donné l’ordre.
Simultanément, l’attaque générale franco-anglaise a été déclenchée.
Cette concomitance, comme nous allons le voir, ne sera pas sans conséquence dès aujourd’hui et dans les jours à venir.
Au centre, la III° armée voit son action partagée entre ses propres objectifs (marche en direction de Troyes) et les appuis aux armées voisines (II° à l’ouest, IV° à l’est). Là encore, cette divergence des efforts aura des effets négatifs pour la suite de la bataille côté allemand.
Pour les forces franco-anglaises, la bascule du 2° CA de la I° armée au nord de la Marne et sur la rive droite de l’Ourcq vers Lizy-sur-Ourcq diminue la pression sur les Anglais.
De même le rappel des 4°, 3° et 9° CA par Von KLUCK facilitera la percée du CEB et de la 5° armée de FRANCHET d’ESPEREY.
Voyons maintenant les évènements de la journée.
Tout d’abord, celle des armées du centre.
La III° armée soutient toujours l’action de la IV° dans la région de Vitry-le-François tout en affichant sa volonté de poursuivre son avancée vers le Sud.
« 19° CA soutient 8° CA de toute sa force. 23° Division de réserve marche de bonne heure de Coole (Ouest Vitry-le-François) vers le Sud prête à l’attaque contre flanc gauche ennemi » .
« 22° DI combat à l’armée en liaison avec le corps de la Garde (II° armée). 19° CA Sud-ouest Vitry-le-François en liaison avec 8° CA ?). La 23° a atteint Coole, marche le 7 sur Sompuis (entre Mailly et Vitry-le-François) prête à l’attaque contre ennemi avec 19° CA » .
La situation de la V° armée et sa liaison avec la IV° armée n’est pas sans difficulté face à l’action des 4° et 5° armées françaises comme l’indiquent plusieurs télégrammes internes et avec la IV° armée.
En interne : « 18° CA en possession de Pargny-sur-Saulx et Alliancelles (Sud-Ouest de Revigny). 18° corps de réserve Rancourt, Revigny, Laimont ». « Deux batteries ennemie Nord Brabant (Nord Revigny) démolies sous le feu des batteries 3° DC. Depuis assez longtemps bon résultat sur les colonnes se retirant vers Sud-Ouest. 3° DC et CC Charmont, 6° Vernaucourt (Nord-Ouest Revigny) » .
Avec la IV° armée : « 25° division de réserve occupe hauteur de Laimont. Avance nouvelle découvrirait flanc gauche de l’armée. Prière inviter de nouveau CC à boucher trou entre 21° et 25° divisions de réserve » . « 5° armée dur combat, aile droite 6° CA près Conde-en-Barois (les Hauts-de-Chée), Rembercourt-Sommaisne (Nord Bar-le-Duc), 18° corps de réserve au combat près Revigny. Retraite de ce corps là-bas impossible ».
Et de solliciter via le GQG l’aide de la IV° armée : « Demander immédiatement appui nécessaire du 5° CA » .
Le Commandement Suprême demande une étroite coordination entre les IV° et V° armées :
« Entente réciproque au cours de l’attaque est nécessaire entre les 4° et 5° armées. Accuser réception. Signé Moltke » .
La V° armée donne les ordres en conséquence :
« Avance du CC en direction Sud-Est au-delà du canal est nécessaire pour appuyer l’aile droite de l’armée combattant à Laimont (Est de Revigny) » .
Et d’informer sa voisine de ses intentions :
« Armée sur ligne Laimont (Est revigny), Vaubecourt, Beauzée, Ippecourt (tous Nord Bar-le-Duc). Intention attendre avance 4° armée » .
La IV° armée informe également sa gauche (la V° armée) :
« 6° corps de réserve n’avance pas étant actuellement près de Revigny sous le feu de batterie ennemie près Vassincourt (Sud-Est Revigny). 6° DC soutien cette attaque en partant de Brabant (Nord Revigny). 3° DC combat encore de concert avec 21° division réserve près Remennecourt (Sud-Ouest Revigny). Signé 4° CC » .
Mais l’imbrication et la proximité des combats ne vont pas sans effets collatéraux même au sein de la même armée comme l’atteste le télégramme suivant :
« Artillerie de 15° DI active bombarde infanterie 15° Division de réserve. Secours immédiat. Rapport immédiat 8° CA. Signé commandant en chef 4° armée » .
Pour l’aile droite allemande, cette journée va s’avérer particulièrement déterminante.
Dans les premières heures de la journée, Von KLUCK informe le 1° CC de la II° armée du mouvement du 9° CA vers le 3° CA :
« 9° CA se retire cette nuit région à l’Ouest de Montmirail. 3° CA s’accole jusqu’à Boitron. II° armée continue attaque par Montmirail. 1° et 2° CC couvrent flanc droit 3 CA contre ennemi de Tournan-en-Brie (Ouest de Coulommiers) » .
Et de rendre compte au Commandement Suprême :
« 4° CA intervient ici demain. 3° et 9° corps couvrent à l’Ouest de Montmirail le flanc de la II° armée qui attaque à l’Ouest vers le Sud contre fort ennemi. 2° CA et 4° corps de réserve engagés en rude combat Nord de la Marne Sud-Ouest Crouy-sur-Ourcq contre fort ennemi avançant de Paris » .
De son côté Von BÜLOW décrit la situation à la III° armée et demande son appui :
« Tenant compte de l’ennemi de Rozay (Sud-Ouest Coulommiers), 3° et 9° CA se retirent derrière coupure Petit-Morin. Aile gauche de la II° armée reste offensive ». « Appui immédiat à la III° armée par toutes forces disponibles absolument nécessaire. Signé BÜLOW » .
Un compte rendu de la 4° DC en couverture au nord et au nord-est de Paris informe la I° armée de la situation dans sa zone :
« Se basant sur rapport reçu jusqu’ici, l’escadron d’exploration suppose que des détachements mixtes signalés ne servent qu’à former un rideau devant ceinture des forts. Un mouvement offensif des Français en direction du Nord n’a pas été établi jusqu’ici. Nouvelle avance de nos patrouilles au-delà ligne Beaumont, Luzarches, Plailly (Sud Senlis) est toujours impossible »
« Avant-hier assez forte infanterie avec cavalerie et artillerie signalées près La Chapelle ; n’a pas continuer à avancer hier. Dans la forêt de Chantilly et dans la forêt d’Ermenonville partout fortes patrouilles de cavaliers qui rendent impossible nouvelle avance sur Paris. Prière transmettre à SD (2° CC) » .
De même, son corps de cavalerie lui rend-compte de la situation dans la région de Coulommiers :
« Je suis à un kilomètre Nord de Coulommiers (SCHMETTOW). …Jusqu’ici pas d’ennemi devant le front. Patrouilles confirment retraite sur Paris. Fort bruit de combat direction Meaux. Où est RICHTHOFEN (1° CC) ? Comment situation ? » .
« Deux escadrons anglais ont paru devant Boissy puis devant Coulommiers. Un bataillon anglais a marché de La Chapelle sur Coulommiers, fait tranchée à 3 kilomètres Ouest Voisins. Schmettow veut les repousser » .
On peut constater que la pression anglaise est plutôt faible.
Mais bientôt les affaires vont se compliquer pour la II° armée.
En effet, la pression de la 6° armée de MAUNOURY se fait de plus en plus sentir sur le 4° corps de réserve et le 2° CA, le 4° CA n’ayant pas encore totalement rejoint sa base de départ au nord du dispositif sur l’Ourcq.
Aussi, Von KLUCK décide-t-il de rappeler les 3° et 9° CA au nord de la Marne :
« Intervention des 3° et 9° CA sur l’Ourcq nécessaire d’urgence. Ennemi se renforce considérablement. Prière mettre corps en marche direction La Ferté-Milon et Crouy » .
Von BÜLOW de s’inquiéter de l’avancée anglaise :
« Que sait-on maintenant ennemi de Rozay. Commandant en chef armée en ce moment à Fromentières (Est de Montmirail). Destiné à SD (2° CC) qu’il n’y a pas moyen d’atteindre en ce moment. Etes-vous orienté ? Signé CU » .
Et la I° armée (2° CC) de lui répondre :
« La tête de Lochow doit avoir traversé la Ferte-Gaucher à 07h30 du matin, mais renseignement douteux. Jusqu’ici devant notre front seulement faible cavalerie et artillerie près et à l’Ouest de Coulommiers. Je suis à la Haute-Maison, Saint-Germain-sous-Doue (Nord Coulommiers). Bruit de canon près de Meaux n’est plus perçu. Faible infanterie et quelque artillerie ont passé au Sud et à l’Ouest de Coulommiers. Adversaire n’a pas franchi ruisseau Grand-Morin en amont La Chapelle-sur-Crécy (Nord-Ouest Coulommiers). Contrairement à rapport d’aviateurs, nos patrouilles prétendent avoir reconnu hier jusqu’à la nuit le retrait ennemi vers Paris » .
Le commandant de la II° armée informe la I° armée que les 3° et 9 CA se replient :
« 3° et 9° CA en mouvement de repli entre Sablonnières (Ouest Montmirail sur le Petit-Morin) et Montmirail » .
Et de continuer en ce qui concerne sa situation au centre et à l’est :
« Centre et aile gauche 2° armée engagés dans rude combat sur Petit-Morin entre Montmirail et Fère-Champenoise » .
Von KLUCK sent le danger d’un enveloppement possible et insiste pour que le Petit-Morin soit tenu avec vue sur la Marne en aval de la Ferté-sous-Jouarre, cette zone étant désormais de la responsabilité de la II° armée :
« Où sont les CC ? Au cours de l’attaque ennemie il est absolument nécessaire de tenir la coupure du Petit-Morin entre La Ferté-sous-Jouarre et Boitron et d’observer constamment la ligne de la Marne, La Ferté-sous-Jouarre » .
« En particulier occuper fortement passage près la Ferté-sous-Jouarre. 2°, 4° CA et 4° corps de réserve engagés au combat sur l’Ourcq inférieur » .
Von KLUCK est alerté sur une concentration en cours dans la région de Nanteuil-le-Haudoin :
« Aviateurs signalent 10h00 matin colonne en marche de Pézarches (Sud-Ouest Coulommiers) sur Coulommiers et rassemblement de troupes entre Dammartin-en-Goële (Sud-Ouest Nanteuil) et Nanteuil-le-Haudoin vers 11h00, effectif non connu. 2° CC n’a devant lui jusqu’à 09h00 au Sud de Coulommiers que peu d’Anglais » .
En ce début d’après-midi, les unités de la I° armée vont, peu à peu, abandonner le terrain au sud de la Marne comme l’indiquent plusieurs télégrammes internes à l’armée :
« Notre aile gauche près Varreddes, Nord de Meaux, en danger par artillerie ennemie tirant de direction Nord de Meaux. Intervention de flanc par artillerie de direction Trilport (Nord-Est Meaux) absolument nécessaire aussitôt que possible » .
« Brigade infanterie gauche avec artillerie lourde du 3° CA se porte cet après-midi par la Ferté-sous-Jouarre sur Trilport pour battre de flanc artillerie lourde anglaise et couvrir le flanc contre Coulommiers et Grand-Morin inférieur. Mission du 2° CC près Trilport reste la même » .
« Etat-major 2° CC 6 kilomètres Ouest de Doue (Nord-Est Coulommiers), aujourd’hui DC en marche sur Trilport, 10° Chasseurs Pierre-Levée (Nord-Ouest Coulommiers), viendra probablement ici aussi 2° DC qui jusqu’ici Doue et Sud . Deux bataillons Chasseurs Nord Aulnoy (Nord Coulommiers). Cavalerie anglaise a marché au Sud de Boissy (Ouest Coulommiers) » .
« Commandant en chef 1° armée aujourd’hui à Vendrest (Nord La Ferté-sous-Jouarre) » .
Mais également en provenance de la II° armée :
« Prière renseigner constamment sur votre situation. 3° CA mis en marche sur La Ferté-Milon (Nord de la Marne, Sud Villers-Cotterêts). 9° CA aujourd’hui jusquà région Chezy-sur-Marne (Sud Château-Thierry). Jusqu’à présent aucune avance ici » .
« Brigade 4° corps de réserve continue marche pour rejoindre 1° armée » .
En milieu d’après-midi, le Commandement Suprême s’enquiert de la situation des I° et II° armées :
« Orientations sur situations des 1° et 2° armées désirées. Signé Commandant Suprême » .
Et la II° armée de lui répondre :
« 2° armée engagée dans combat décisif sur coupure Petit-Morin Montmirail, Normée Nord-Est la Ferté-Champenoise. Le 7 à midi, le 3° CA a été sur invitation pressante ramené à la 1° armée au-delà de la Marne » .
« Tête 9° CA poussée jusqu’à Chezy-sur-Marne. Appui par 3° armée faible. Intervention de fortes fractions est nécessaire pour amener tournure décisive. Anglais le 7 midi sur Coulommiers et Choisy-en-Brie (Sud-Est Coulommiers). Français signalés du Sud-Ouest sur Esternay, Sézanne et Fère-Champenoise. DC n’a pu être amenée 3° armée car toujours engagée au combat sur autre aile » .
En début de soirée, pour la I° armée, il ne reste au sud de la Marne que des unités de cavalerie, certaines s’apprêtant à franchir la rivière :
« Schmettow va essayer encore d’intervenir de Lumigny (Sud-Est Coulommiers) puis de se mettre au repos Sud-Est Lizy-sur-Ourcq. Encore pas d’ordres pour nous ? » .
« 2° DC Orly-sur-Morin, Bussières, Saint-Cyr-sur-Morin (Sud-Est La Ferté-sous-Jouarre, sur le Petit-Morin) demande d’urgence essence sinon colonnes autos restent en panne. De même avoine et pain pour le 8. signe Henning. Trains 5° DC étaient cette nuit du 6 au 7 à Saint-Martin derrière le front du 3° corps ; on ne peut plus dire où ils sont, paraissent avoir été dirigés sur l’arrière par quelqu’un. Prière encore répondre où recevoir essence et ravitaillement. Signé Henning. Nous demandons réponse à nos questions à 2° CC » .
« 2° CC Jouarre, 9° DC Est de Trilport, 2° Pierre-Levée. Bataillon Chasseurs Le Fayel où se trouve DC Garde. Rout Saint-Cyr, Boissy …… » .
Le franchissement de la Marne par les 3° et 9° CA est confirmé par la I° armée qui informe le 1° CC de la II° armée :
« Fractions ennemies Sud du Grand-Morin inférieur signalés par aviateurs. 3° CA et 9° CA marchent direction Crouy-sur-Ourcq » .
A l’aile droite, cette journée est marquée par la bascule du gros de la I° armée au nord de la Marne, certainement en raison de la situation tactique, notamment sur la rive droite de l’Ourcq, mais aussi, dans une certaine mesure, suite aux ordres du Commandement Suprême de sérier l’action de la I° armée entre Oise et Marne. En effet les mouvements relatifs à ces ordres avait déjà été initiés juste avant l’attaque de JOFFRE.
Le faible rideau de cavalerie laissé sur le Petit-Morin n’est pas en mesure de contrer une offensive, au mieux d’en percevoir les contours.
Ainsi, une trouée vide de forces combattantes se crée progressivement entre les I° et II° armées. Cette trouée, le commandement français, renseigné entre autre par les écoutes, en a de suite perçu tout l’intérêt. JOFFRE adresse une directive à la 6° armée afin qu’elle élargisse son action vers le nord, aux anglais de pousser en direction de Château-Thierry et à la 5° armée de fixer les forces allemandes à son aile gauche.
Cette manœuvre portera ses fruits, comme nous pourrons le constater, dans les tous prochains jours.
Pour les armées du centre, leur action a été limitée par les 4° et 3° armées françaises. La III° armée n’a pas su percevoir et encore moins exploiter l’étirement des liaisons entre la 4° armée (de LANGLE) et la 9° armée (FOCH) malgré un repli marqué (12 kilomètres) de l’aile droite de cette dernière.
A suivre demain...
J-M D