Association de la guerre électronique de l’armée de terre
Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journée du 9 septembre 1914
9 septembre 2013.
Si le 6 septembre marquait le changement de fortune entre les deux camps, cette journée va être celle de la désillusion pour MOLTKE.
La poussée franco-anglaise dans la brèche entre les I° et II° armées va sonner l’heure de la retraite pour ces deux armées, puis ultérieurement pour l’ensemble des armées allemandes.
Mais voyons comment cela s’est déroulé.
Aux premières heures, la I° armée informe son corps de cavalerie du transfert d’autorité d’une partie des moyens dont disposait le 2° CC :
« Brigade mixte du 9° CA La Ferté poussée sur Nogent-l’Artaud. 1° CC prend commandement sur elle et si possible sur 5° DC, fait venir 9° DC et tient ligne de la Marne. En outre détachement 3° Division près Mary. Richtofen région La Chapelle. 2° armée a prolongé aile droite de Montmirail vers Fontenelle. QG aujourd’hui La Ferté-Milon ».
Contrainte de se replier hier au nord de la Marne, la 5° division de cavalerie rend compte de sa position à la II° armée :
« 5° DC après violents combats sur Petit-Morin …. rassemblée à Marigny-en-Orxois (Ouest Château-Thierry) à 09 heures du matin ».
La II° armée informe Von KLUCK de sa situation :
« Aile droite 2° armée retirée le 9 vers Marigny (Nord-Est Montmirail), Le Thoult-Trosnay (Est Montmirail). DC Garde a tenu jusqu’au 8 soir Dolloir, se retire refoulée région Condé-en-Brie (Sud-Est Château-Thierry). 5° DC refoulée rive Nord de la Marne ».
Le 2° CC en charge de tenir la Marne et couvrir le flanc gauche de la I° armée s’enquiert de la position de la 5° DC :
« Où êtes-vous ? Vous êtes sous nos ordres. Exploration Nanteuil-sur-Marne, Nogent-l’Artaud retard avance ennemie. Liaison avec troupes Montreuil-aux-Lions. Je suis à Monsoutin. Signé Marwitz. »
Visiblement le transfert d’autorité évoqué plus haut (« et si possible la 5° DC ») ne semble pas d’actualité au vu de la remarque et les ordres donnés par le 2° CC à cette division (qui rappelons-le dépend organiquement du 1° CC).
Ce hiatus ne va pas arranger les choses pour la défense des points de passage sur la Marne de part et d’autre de Château-Thierry.
Et la 5° DC de s’interroger auprès du 2° CC :
« 1° CC nous ordonne de marcher sur Château-Thierry. Quel ordre doit-on exécuter. 5° DC est-elle mise par CDT Suprême sous les ordres du 2° CC ? » Du 2° CC de lui répondre : « Vous êtes sous nos ordres par commandant en chef armée ».
Et de recevoir malgré tout un ordre de la II° armée : « 5° DC barrera passages de la Marne de Château-Thierry vers l’amont ».
Au-delà de l’anecdote, ce fait met en lumière les discordances au sein du commandement, quel que soit le niveau, exacerbées par des dissensions entre chefs à forte personnalité, et ce, dans un moment particulièrement critique pour les deux armées de l’aile droite allemande.
Au matin, la I° armée rend compte de sa situation au Commandement Suprême :
« Armée a été engagé aussi dans rude combat contre forces supérieures à l’Ouest de la ligne Ourcq, Antilly, Congis-sur-Thérouanne. 3° et 9° arrivés de nuit sur aile droite, attaque ce matin par mouvement enveloppant. Ligne Marne, Lizy-sur-Ourcq, Nogent-l’Artaud est défendue par 2° CC et brigade infanterie renforcée contre attaque venant direction Coulommiers. Aile droite de 2° armée repliée de Montmirail sur Fontenelle. QG armée La Ferté-Milon ».
La II° armée informe son corps de cavalerie sur sa ligne de front de l’armée et lui fixe la mission de couverture :
« la 2° armée combat ligne Margny, Le Thoult, Pleurs (Sud Est Sézanne) avec aile gauche offensive. DC Garde pousser flanc droit jusqu’à la Marne échelonnée à droite en avant ».
Et le 1° CC de lui répondre :
« DC Garde Condé-en-Brie. Ennemi ne suit pas énergiquement. Intention attaque de flanc Est de la Dhuis, encore incertain si possible disposer 5° DC Nord Marne ».
La II° Armée le renseigne sur la menace et sur son intention :
« Aviateur signale avance de quatre longues colonnes ennemies vers le Marne. Têtes 9 heures matin : Nanteuil-sur-Marne, Citry, Pavant, Nogent-l’Artaud. 2° armée commence marche en retraite aile droite Damery (Nord-Ouest Epernay) ».
Visiblement non informée de l’intention de sa voisine, la I° armée s’interroge sur sa situation : « Quelle est votre situation ? Urgent ».
Tout en tenant la II° armée au courant de sa propre situation et de son intention :
« Aile gauche armée se replie par Crouy, Coulombs jusqu’à Montigny-l’Allier, Gandelu. 2° CC couvre le mouvement si possible en attaquant contre adversaire qui franchit près de Charly-sur-Marne. Signé commandant en chef 1° armée ».
Tout comme le fait le 2° CC lorsqu’il rend compte à la I° armée de l’avancée ennemie :
« Fortes colonnes infanterie sont en marche par Charly et … et Nanteuil en direction Nord. Je vais essayer de les repousser. Adversaire avance contre Ruget et Monbertoin. Je couvre flanc sur les hauteurs Sud de Cocherel et près Monbertoin ».
Suite à une information de la III° armée : « Euvy (Sud-Est Fère-Champenoise) pris par nous » , la II° armée d’annoncer à Von HAUSEN : « 1° armée se replie. 2° commence marche en retraite Dormans, Tours-sur-Marne. Ordre de retraite à Kirchbach est arrivé » , ceci en laissant toujours la I° armée dans l’ignorance de son intention de retraite.
Von KLUCK sera mis au courant lors de l’arrivée à son QG vers midi du LCL HENTSCH en provenance du QG de Von BÜLOW. En début d’après-midi, il découvrira officiellement cette annonce de la retraite de la II° armée par message adressé au Commandement Suprême en ces termes :
« 1° armée se replie aile gauche Coulombs, Gandelu. 2° armée suspend lentement l’attaque qui progressait après entente avec Hentsch (chef B2 du GQG) et gagne rive Nord de la Marne aile droite Dormans. Remplacement rapide en hommes nécessaire d’urgence. Commandant en chef 2° armée ».
Résigné, Von KLUCK entend les arguments du LCL HENTSCH et se décide lui aussi à retraiter pour éviter l’enveloppement par le sud-est.
Il retransmet l’ordre de retraite et fixe la mission du 2° CC :
« Commandement Suprême prescrit retraite de 1° armée Soissons, de 2° armée Epernay, (Fulaine-)Saint-Quentin. Nouvelle armée en formation. 1° armée se porte aujourd’hui sur ligne Antilly, Brumetz, cette nuit plus loin. CC couvre le mouvement. 5° DI sur Dhuisy est subordonnée au commandant en chef 1° armée ».
La II° armée retransmet à la I° armée une demande du Commandement Suprême (qui ne l’a pas adressée directement à Von KLUCK) : « Quelle est situation là-bas et quelle intention en égard à la situation de la 1° armée ? (message sur demande de AC) ».
Et la I° armée de lui répondre :
« 1° armée se replie aujourd’hui avec gros sur ligne Crépy-en-Valois, La Ferté-Milon, Neuilly, demain sur l’Aisne. 2° CC avec brigade Kroewel couvre flanc gauche. QG armée La Ferté-Milon ».
Mais aussi de répondre directement au Commandement Suprême :
« Aile droite 1° armée a rejeté ennemi en direction de Nanteuil. Centre et aile gauche maintiennent leurs positions. 2° CC a maintenu ennemi sur la Marne près et en amont de La Ferté. 1° armée s’est repliée conformément aux ordres du CDT Suprême sans être pressée par les Français sur ligne Crépy-en-Valois, La Ferté-Milon, Neuilly. Anglais avancent au-delà du secteur de Marne, La Ferté-sous-Jouarre, Château-Thierry. Intention pour le 10 septembre : continuer marche au-delà Aisne. QG aujourd’hui La Ferté-Milon ».
Pour les armées du centre, notamment pour les IV° et V° armées, les intentions sont à l’offensive :
« Attaque de nuit envisagée partant de ligne Loupry, le Château, Amblaincourt, Ippecourt. On compte sur la protection du flanc droit de l’armée par 18° Corps de réserve ».
Il faudra l’intervention de MOLTKE pour bloquer cette initiative compte tenu de la situation sur l’aile droite : « Attaque de nuit impossible à prévoir en considération de la situation générale. Ordre suit. Signé Moltke » .
Ayant été informé de la situation sur sa droite par la II° armée, Von HAUSEN rend compte des mesures prises pour la retraite de la III° armée :
« Groupe de droite de l’armée après poussée victorieuse a reçu ordre de retraite au Nord de la Marne. Groupe de droite de l’armée a maintenu jusqu’ici sa position doit se joindre au mouvement. Le 10 matin la 3° armée atteindra la rive droite de la Marne, Condé, Châlons, Pogny ».
Il faudra, là encore, l’intervention de MOLTKE pour bloquer ce mouvement : « 3° armée reste Sud de Châlons. Offensive sera reprise le 10 septembre aussitôt que possible. Signé Moltke ».
Journée noire pour MOLTKE. Journée de chien pour Von KLUCK, obligé de retraiter, malgré l’enveloppement de la 6° armée en bonne voie, car la retraite, non concertée ni coordonnée, de la II° armée offrait son flanc gauche et surtout ses arrières à l’attaque franco-anglaise.
Une fois de plus, il semble bien que Von BÜLOW ait pris « peur ». Comme à Charleroi où il demandait à ses voisins de droite comme de gauche de demeurer à ses contacts alors que l’adversaire était en position très défavorable.
Comme à Guise où il sollicitait l’intervention de la III° armée sur sa droite.
Les discordances, les dissensions, les imbrications et l’absence d’un commandement ferme, présent et unifié à l’aile droite ont certainement contribué à faire de ce jour une journée de victoire pour les forces alliées.
Les jours à venir seront à la retraite pour les armées allemandes et à la poursuite pour celles des alliés.
A suivre demain...
J-M D