Association de la guerre électronique de l’armée de terre

Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journée du 10 septembre 1914
10 septembre 2013.
Après avoir rompu sans difficulté le contact avec l’ennemi dans l’après-midi, les premières colonnes de la II° armée franchissent la Marne au milieu de la nuit, les trains étant même poussés au-delà de la Vesle.
Cependant, la retraite de la II° armée et la brèche entre celle-ci et la I° armée inquiète le Commandement Suprême qui redoute un enveloppement de la droite de Von BÜLOW entraînant de facto une rupture de la future ligne d’arrêt entre les I° et II° armées.
Aussi Von MOLTKE donne-t-il des ordres pour l’éviter :
« 2° armée s’est retirée derrière Marne, aile droite Dormans. 1° armée s’établit échelonnée en arrière prête. Enveloppement de l’aile droite de la 2° armée doit être empêché par attaque. Signé Moltke ».
La II° armée ne semble pas partager la crainte du Commandement Suprême, comme l’indique un télégramme :
« 2° armée a gagné le 10 avec fortes arrière-gardes ligne Dormans, Avize en liaison avec 3° armée Pocancy. 1° armée communique qu’elle veut être le 10 derrière l’Aisne. On pense ici que protection du flanc droit de 2° armée par la 1° armée n’est pas à envisager ».
Et Von MOLTKE de persister en s’adressant à la I° armée :
« Combat sur toute la ligne favorable. Sûreté du flanc droit de 2° armée par intervention de 1° armée absolument nécessaire. Signé Moltke ».
De Von BÜLOW de donner son appréciation de situation :
« En accord avec Hentsch, j’estime que la situation est la suivante. Retraite de la 1° armée commandée par le cours des opérations et la situation tactique. La 2° armée doit soutenir la 1° armée au Nord de la Marne pour que l’aile droite des armées ne soit pas enfoncée et enveloppée. J’atteins aujourd’hui avec forte arrière-garde au Sud de la Marne, Dormans, Avize où je me joins à la 3° armée. J’attends ici instructions ».
Mais le Commandement Suprême fait montre d’impatience sur ce qui ce passe sur l’aile droite. La « méchante » humeur du Kaiser n’y est certainement pas étrangère.
Une demande acerbe arrive à l’état-major de la II° armée :
« On demande d’urgence nouvelles de l’ennemi devant front 1° et 2° armées. Signé Moltke ».
Et à retransmettre à la I° armée : « Quelle est situation à 1° armée, quel ennemi devant elle ? Signé Moltke ».
En fin de matinée, le « cas » de Von KLUCK paraît « tranché » :
« Sa Majesté ordonne 1° armée est jusqu’à nouvel ordre subordonnée à 2° armée ».
Mais pendant cette matinée, les opérations continuent, notamment sur le front de la IV° armée :
« 4° armée attaque au lever du jour direction Blaise, Perthes. 18° CA couvre ailes intérieures des 4° et 5° armées d’abord dans position d’aujourd’hui Mogneville, Laimont ».
De son côté la III° armée rend compte de sa situation après les combats des deux derniers jours :
« Le 8 et 9, combat avec très lourdes pertes au cours duquel 50 pièces de mitrailleuses conquises et quelques centaines de prisonniers. Le 10 septembre, armée au Sud de Châlons, ligne de troupes avancées Pierre-Morains, Sommesous, Sompuis, Huiron ».
Pour l’aile droite et devant l’ordre impératif de MOLTKE, la II° armée entreprend les mesures de couverture pour son flanc droit :
« Sûreté du flanc droit de 2° armée par intervention de 1° armée absolument nécessaire ».
Cet ordre vise plus particulièrement la 5° DC laissée, la veille, au nord de la Marne avec la I° armée pour couvrir les passages sur cette rivière.
Et celle-ci de renseigner la II° armée :
« Pont de Jaulgonne (Est Château-Thierry) trouvé entre les mains de l’ennemi. Infanterie et apparamment …. Avance en traversant Jaulgonne ».
« Sur rive sud un mouvement de troupes ennemies vers l’Est. Adversaire avance de Château-Thierry par Epieds et Bezu-Saint-Germain. Prière transmettre à GA (1° CC) ».
Von KLUCK, quant à lui, continue d’organiser sa retraite et préparer sa zone de recueil en envoyant la 4° DC sur l’Aisne :
« DC couvre ponts de l’Aisne Soissons jusqu’à Attichy vers Nord et Sud. Ponts jusqu’à Pommiers sautés. Les ponts sont occupés en partie aussi par notre infanterie. Gros DC près Vic-sur-Aisne (Ouest Soissons) ».
Tout en explorant sur les arrières de la I° armée :
« Renseignements sur situation suivront ce soir. Pour la question concernant échelon, détails seront transmis. Cavalerie et infanterie françaises apparaissent sur nos communications dans les bois de Compiègne, Villers-Cotterêts ».
Et d’avoir des renseignements du 2° CC :
« Routes Billy, Saint-Rémy, Oulchy, Hartennes (Sud soissons), encombrées par trains. Au Sud Oulchy, les trains fortement bombardés par artillerie ».
En début d’après-midi, Von BÜLOW contacte Von KLUCK et d’insister sur la subordination de la I° armée à la II° :
« La 1° armée est sous mes ordres. Où se trouve la 1° armée le 10, où se trouve l’ennemi en face d’elle et force ? Quand 1° armée sera-t-elle prête pour une nouvelle offensive ? Réponse par radio en plus de l’officier de renseignement Reims. Signé Bülow ».
En milieu d’après-midi, il rend compte de la situation de la II° armée :
« L’ennemi repoussé par le centre et aile gauche de la 2° armée jusqu’ici pas suivi. Ennemi faible seulement devant aile droite. Renseignement sur 1° armée suit. Signé commandant de la 2° armée ».
En fin d’après-midi, le compte rendu de la I° armée parvient à la II° armée :
« 1° armée est repliée aujourd’hui jusqu’au Nord du bois de Villers-Cotterêts. Pas de nouvelles de l’ennemi Ouest de l’Ourcq inférieur. De Château-Thierry jusqu’ici ennemi avec forte cavalerie et infanterie. Derrière Serre, un CA direction Neuilly-Saint-Front, Oulchy. Direction des forces principales encore incertaine. Armée fortement en désordre et épuisée par cinq jours de combat en retraite prescrite. Sera prête au plus tôt le 12 pour offensive. Quelle situation là-bas à l’aile droite ? Prière transmettre à AC et signaler ici la transmission ».
On sent, dans la dernière phrase, une certaine défiance compte tenu de la nature des propos tenus par le commandant en chef de la II° armée hier auprès du LCL HENTSCH et dans ses rapports adressés au Commandement Suprême.
Mais en début de soirée, tombe l’ordre de la retraite générale pour l’ensemble des armées :
« Transmettez aussi à VA. A VA (I°), CU (II°), PM (III°), RI (IV°), TL (V°) urgent. Sa Majesté ordonne :
- 2° armée se repliera derrière la Vesle, aile gauche Thuisy (Val-de-Vesle, Sud-Est Reims),
- 1° armée recevra instructions de la 2° armée.
- 3° armée tiendra en liaison avec la 2° armée ligne Mourmelon-le-Petit (Sud-Est Reims), Francheville-sur-Moivre (Sud-est Châlons).
- 4° armée en liaison avec la 3°, Nord du canal de la Marne au Rhin jusqu’à Revigny.
- 5° armée restera dans les positions atteintes.
- 5° CA et réserve Générale Metz seront employés à l’attaque des forts de Troyon, les Paroches, Camp des Romains (région Saint-Mihiel).
Les positions atteintes par les armées devront être fortifiées et maintenues. Les premiers éléments de la 7° armée, du 15° CA et du 7° Corps de Réserve atteindront vers le 12 midi la région Saint-Quentin, Sissy (Sud-Est Saint-Quentin). Y prendre la liaison de la 2° armée. Signé Moltke ».
En ce début de soirée, la II° armée rend compte de l’avancée ennemie :
« Infanterie ennemie suivant 2° armée a franchi ligne Bezu-Saint-Germain, Epieds, Jaulgonne(Nord Marne et Château-Thierry), Courthesy, Igny (Sud Dormans), le Jard, Etoges, Vertus, Gravelle, Morains-le-petit (Sud Epernay) ».
Dans la nuit, la IV° a cessé toute attaque et rend compte au Commandement Suprême qu’elle se replie conformément aux ordres reçus :
« 4° armée se porte le 11 matin sur ligne prescrite ».
Dans la continuité de la veille, cette journée est particulièrement noire pour Von MOLTKE, mais pour Von KLUCK, sa subordination à Von BÜLOW traduit une disgrâce incontestable.
Pour JOFFRE, la retraite des I° et II° armées allemandes sonne l’heure de l’exploitation.
Aussi adresse-t-il des directives à ses armées et au CEB :
- pour la 6° et le CEB : de part et d’autre de l’Ourcq pousser en direction du nord ;
- pour le Corps de Cavalerie BRIDOUX sur la gauche pour intervenir sur les lignes de retraite ennemies (I° armée allemande) ;
- pour la 5° armée prendre les dispositions pour agir face à l’est, direction de Reims ;
- pour la 9° armée d’appuyer la 4° armée sur sa droite ;
- pour la 4° armée de pousser sur l’ennemi à gauche en liaison avec la 9° armée ;
- pour la 5° armée de tenir et durer sur ses positions.
A suivre demain ...
J-M D
