Association de la guerre électronique de l’armée de terre
Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journée du 11 septembre 1914
11 septembre 2013.
Durant la nuit, les colonnes de la I° armée continuent d’arriver sur l’Aisne tout en laissant de fortes arrière-gardes au sud de la rivière.
Dans les toutes premières heures de la journée, la 4° DC est informée par la I° armée de ces mouvements et reçoit les précisions pour la couverture qu’elle doit assurer :
« A l’est se trouvent les arrières gardes du CA. 4° DC couvre flanc droit de l’armée en avant 9° dans la forêt de Compiègne ».
La III° armée rend compte de sa mise en route pour se porter vers la zone qui lui a été fixée ainsi que d’une attaque sur sa droite :
« Départ dans zone prescrite entamée dès la nuit. 24° Division Réserve attaquée ce soir et repoussée par forces très supérieures venant de direction Vertus, Bergères. Commandant d’armée Suippes ».
Von KLUCK rend compte à la II° armée et au Commandement Suprême des mesures prises sur l’Aisne :
« 1° armée s’organise demain sur l’Aisne Vic, Soissons, fortes arrière-gardes au Sud. Ennemi en marche de Château-Thierry et Ouest. Au moins un à 2 CA et plusieurs DC. QG Fontenoy ».
Et de souligner à l’attention du Commandement Suprême, sous-entendu l’Empereur, la haute conduite de son armée les jours précédents ainsi que la prise en compte des ordres donnés :
« La 1° armée de votre Majesté a rejeté après bataille de cinq jours, du 5 au 9 septembre, les armées françaises et anglaises fortement pourvue d’artillerie lourde à l’Ourcq et à la Marne. La 1° armée se met en marche pour couvrir le flanc droit de la 2° armée conformément aux directives du GQG. L’organisation de l’armée et la mise en route des convois demandent quelques jours. Chefs et troupes ont accompli les plus hauts exploits. Signé Von Klück Colonel Général ».
Le corps de cavalerie de la II° armée rend compte de ses difficultés et de ses observations sur l’ennemi :
« Poussée au-delà de Fère-en-Tardenois, Beuvardes pas exécutée en raison de l’état des chevaux. 5° DC ce matin combat contre infanterie qui a percé avec artillerie près Jaulgonne venant apparemment de Château-Thierry. Peu après une assez longue colonne de Château-Thierry, Etrepilly resta 5 heures soir Sergy, Ronchères (Sud-Est Fère-en-Tardenois). Adversaires suivi seulement faiblement de Jaulgonne. Fère-en-Tardenois libre le soir. Colonne de droite direction Château-Thierry. Hier colonne de Zouaves apparemment le Breuille (Sud Dormans), seulement un à deux bataillons. Mainenant Fismes QG du CC et au Sud. Demain direction Ouest ».
A l’aube, la III° armée, dont la zone de repli a été fixée au sud-est de Reims et centrée au nord-est de Châlons, demande à la II° armée le retour de ses unités stationnées à Reims (rappelons que la garnison de Reims s’était rendue le 4 septembre à la III° armée) :
« Armée demande mettre en route aussitôt garnison saxonne de Reims sur Prosnes (Nord Mourmelon-le-Petit) ».
Von BÜLOW informe le 1° CC des mouvements à venir et lui fixe la mission qu’il doit remplir pour la prochaine phase de la retraite :
« 2° armée se porte 11 et 12 derrière Vesle des deux côtés de Reims. 1° armée se porte au Nord de l’Aisne plus près de l’aile droite de la 2° armée. 13° DI couvre le mouvement près de Braine et Fismes (Ouest Reims). 1° CC couvre mouvement de la 2° armée sur flanc arrière ».
Et de rendre compte au Commandement Suprême des conditions dans lesquelles la retraite s’opère sur la droite des armées allemandes :
« 2° armée se porte le 11 avec arrière-garde au-delà de la Marne et gagne le 12 la Vesle. 1° armée a instruction se retirer le 11 au-delà de l’Aisne et ensuite au Nord de l’Aisne se rapprocher aile droite de la 2° armée. Mouvement de flanc de la 1° armée sera couvert par la 13° DI près de Braine et Fismes. QG le 11 Reims. Signé commandant 2° armée ».
Ce télégramme met en évidence un point faible du dispositif entre les I° et II° armées : ligne Braine-Fismes soit sur une quinzaine de kilomètres.
Si le 1° CC éprouve des difficultés, le corps de cavalerie de la I° armée est encore moins bien loti comme l’indique son compte rendu :
« 9° DC Chaudun, 2° Billy Sud-Est de Soissons, aucun ennemi. Situation ? Où aller ? Suis incapable de mouvement car en raison de l’embouteillage des routes encore hier, c’est le quatrième jour sans subsistances pour hommes et chevaux. Chez Schmettow, 167 chevaux sont tombés d’épuisement. Lors du passage, il serait nécessaire qu’infanterie nous recueille. Signé Marwitz. Demande réponse immédiate ».
Et la I° armée de le renseigner et de le rasséréner sur son recueil sur Soissons :
« Fortes colonnes Autreville et Chezy (Sud Villers-Cotterêts), assez faibles plus à l’Ouest….franchissement demain Aisne. Fortes arrières-gardes Montigny, Prouilly (Sud Attichy) ».
« Réponse si nécessaire. Repli au-delà de l’Aisne près Soissons où subsistances parviendront. Infanterie chargée recueillir Sud Soissons 3° et 5° DI. Braine et Fismes occupées par troupes du 7° CA. Demande accusé de réception ».
Fort des renseignements d’aviateurs obtenus le 10, qui sont confirmés et complétés en ce début de matinée par une nouvelle reconnaissance aérienne, Von BÜLOW fait part de son appréciation de situation :
« Ennemi semble vouloir diriger son effort principal sur aile droite et centre de 3° armée pour percer. Cela n’est pas sans chance de succès en raison développement des fronts de l’armée et de la diminution des effectifs combattants. Par retrait du centre allemand avec appui vigoureux à l’aile gauche 2° armée près Thuisy jusqu’à hauteur Suippes Sainte-Menehould et à l’Est, on peut y obvier. Plus tard, nouvelle offensive de l’aile droite peut avoir grande chance de succès. Paragraphes précédents sont une appréciation de la situation d’après comptes rendus jusqu’au 11 matin ».
Cette appréciation de situation, quelque peu alarmiste (cf. les points de vue antérieurs de Von BÜLOW à Charleroi, à Guise, à Montmirail), ne sera pas sans effet sur le Commandement Suprême comme nous le verrons dans les toutes prochaines heures.
Afin de parer tout enveloppement par sa droite, la I° armée ordonne à la 4° DC de reconnaître la zone sud-ouest en avant de son front jusqu’à l’Oise :
« Exploration vers Verberie, Crépy-en-Valois. Liaison avec 9° CA près Cuise-la-Motte et 43° brigade réserve Compiègne. Auto partie depuis quelques heures avec ordres. Vous avons appelé et cherché en vain. Où étiez-vous ? ».
En milieu d’après-midi, Von KLUCK rend compte laconiquement à la II° armée de la situation devant son front : « Devant notre front tout tranquille. Comment situation là-bas ? »
Et la II° armée de lui fournir les éléments sur ses positions :
« 2° armée atteint le 12 Vesle, aile droite vraisemblablement Trigny. Où aujourd’hui corps de 1° armée. 13° DI près Braine et Fismes et au Sud 1° CC ».
Et la I° armée de lui répondre :
« 9° des deux côtés de l’Aisne Cuise-la-Motte et Berneuil. 4° DC Rethondes, 4° ligne Haute-Fontaine, Saconin-et-Breuil ». et de continuer : « 4° autour Nouvron (Nord-Est Vic-sur-Aisne), 2° des deux côtés de l’Aisne Vauxhuin, Pasly (Ouest Soissons), 3° Courmelles, Billy et Crouy (Sud Soissons), 2° CC Est de Soissons, arrière-garde Acy, Serches (Sud-Est Soissons) ».
C’est aussi à ce moment que MOLTKE arrive au GQA de VON BÜLOW. Après un exposé de la situation, il rédige un nouvel ordre qui sera remis par estafette (mais dont il est bon d’avoir connaissance pour la suite des évènements) :
« Des renseignements sûrs permettent de prévoir que l’adversaire envisage une attaque avec de très grandes forces contre aile gauche de la II° armée et la III° armée. Sa Majesté ordonne en conséquence : devront être atteintes
- III° armée : ligne Thuisy – Suippes
- IV° armée : ligne Suippes – Sainte-Menehould
- V° armée : ligne Sainte-Menehould à l’Est
Les lignes atteintes devront être organisées et tenues. Dans la marche en arrière, les armées devront assurer la liaison de leurs ailes. Signé MOLTKE ».
L’alarme lancée par Von BÜLOW a porté. Un nouveau repli complémentaire au premier est donc ordonné.
En début de soirée, préoccupé par la continuité du front des armées, Von BÜLOW s’enquiert auprès de Von KLUCK des conditions de la liaison entre leurs armées :
« Se liant vers Est 3° armée, ennemi a suivi près Ville-en-Tardenois, Damery, Mareuil. Jusqu’où va aujourd’hui jonction avec aile droite de la 2° armée ? Officier de renseignement demain 09 heures matin Reims ».
Et de préciser : « 2° armée atteint le 12 position entre Châlons et Reims, Thuisy ».
Dans les premières heures de la nuit, la 4° DC rend compte de son exploration à la I° armée :
« 4° DC pont près de Choisy-au-Bac, le Francport et Rethondes. Patrouilles dans forêt de Laigue jusqu’à ligne Bailly, Choisy, dans forêt de Compiègne jusqu’à ligne Compiègne, Saint-Jean-aux-Bois, Palrsne n’ont rien rencontré hors une patrouille. Prisonniers d’hier appartiennent à 1°, 3° et 5° DC françaises ».
Mais ce compte rendu plutôt rassurant est rapidement contredit par la I° armée au son du canon français :
« Ennemi a bombardé Compiègne avec artillerie. 1° armée se porte rive Nord de l’Aisne ».
Pendant cette journée, sur le front des IV° et V° armée, la situation est restée plutôt calme comme l’indiquent les échanges de télégrammes :
Entre la IV° armée et son corps de cavalerie :
« CA a gagné sans obstacle de la part de l’ennemi ligne de hauteurs Nord Marne, rivière la Saulx (région Vitry-le-François) ». « Urgent. Importantes forces ennemies en marche sur Vitry-le-François et Maisons-en-Champagne ». « En raison de grand changement de situation, 8° CA se porte en arrière de Courtisols, Somme-Vesle (Est Châlons) à Cuperly, La Cheppe (Nord de Châlons) jusqu’aux hauteurs Sud de Saint-Rémy (Nord-Est Châlons) ».
Entre le 4° CC et la V° armée :
« Comme 21° Division Réserve, sur ordre d’armée, se retire sur hauteurs de Brabant, 3° DC aussitôt près Vroil, 6° DC sud Nettancourt, 4°CC Nettancourt (Nord-Ouest Revigny) ». « Adversaire 2 heures soir suivi jusqu’à Revigny avec faibles fractions. Signé 4° CC ».
Côté des alliés, la poursuite se déroule sous les meilleurs auspices :
La 6° armée est à moins de 10 kilomètres au sud de l’Aisne entre Pierrefonds et Chaudun, les Anglais à une vingtaine de kilomètres au sud de Soissons, la 5° armée également à moins de 10 kilomètres au sud de la Vesle entre Chéry-Chartreuve et Ville-en-Tardenois (sur l’Ardre), la 3° armée sur la Marne de part et d’autre de Châlons entre Tours et Sarry, la 4° armée sur la Marne en aval de Vitry-le-François et sur l’Ornain en liaison avec la 3° dont la gauche a franchi la Saulx (région Revigny).
Le soir, JOFFRE adresse un télégramme au ministre de la guerre : « la bataille de la Marne s’achève sur une victoire incontestable ».
Mais ce télégramme ne met pas pour autant fin au combat de poursuite.
A suivre demain ... J-M D