Association de la guerre électronique de l’armée de terre
Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journées du 14 et 15 septembre 1914
14 septembre 2013.
Avertissement :
Dans l’état actuel de nos recherches, nous ne disposons que de peu de matière pour illustrer la fin des opérations connues sous le nom de bataille de la Marne. C’est pourquoi les journées du 14 et 15 septembre sont regroupées dans cet article.
Celui-ci est le dernier de la série couvrant cette bataille majeure qui a changé le cours de la première guerre mondiale et de l’Histoire.
En espérant vous avoir intéressé par ces récits, n’hésitez pas à faire connaître votre avis en répondant à cet article final. Merci d’avance.
Journée du 14 septembre
Marquée par la percée alliée entre Vailly et Reims jusqu’aux hauteurs de Craonne, la situation est critique pour les Allemands.
A l’est de Reims, la III° armée est solidement installée sur ses nouvelles positions entre Prosnes et Souain. Face aux difficultés éprouvées par l’aile droite de la II° armée, elle met en marche au milieu de la nuit son 12° CA :
« A la nuit 12° Corps de réserve et le 19° CA occupent position renforcée au nord de la ligne Prosnes-Souain. L’ennemi est très actif devant notre front et pousse des forces importantes vers le Nord-Ouest. Le 12° CA marche demain (le 14) sur Warmériville. La 5° DC est à Saint-Loup-en-Champagne ».
Les nouvelles qui parviennent au Commandement Suprême de ne sont pas très encourageantes. Tant à l’ouest de l’Oise que sur le front de l’Aisne, la pression des alliés est de plus en plus forte comme l’illustrent, la veille, les demandes mutuelles répétées des I° et II° armées. Les échanges de télégrammes en milieu de matinée ne font que le confirmer :
De la 7° DC à la I° armée et au 2° CC (dont les moyens TSF sont utilisés par la 7° armée) :
« 3 divisions de cavalerie ennemies soutenues par de l’infanterie signalées région Nesle, Noyon venant de Montdidier, Amiens ».
Du 2° CC à la I° armée :
« Attaque 14° DI (7° Corps de réserve de la 7° armée), et 9° DC sur Vailly soutenue par 3° CA a échoué ».
Les appels à l’aide de Von BÜLOW reçoivent en écho des appels au secours de ses voisins de droite.
En tout début d’après-midi, Von KLUCK sollicite l’aide de la II° armée :
« En raison des masses engagées contre moi, l’attaque contre la 2° armée est peut-être moins violente. Une attaque de la 2° armée me soulagerait considérablement ».
Et la 7° armée de continuer à « noircir le tableau » :
« Impossible de m’étendre à l’est de Corbény (Nord Craonne), mon front est déjà trop large. Nous comptons au contraire sur une attaque de la 2° armée dans la direction Nord-Ouest contre forces importantes signalées à Juvincourt (Est Craonne) ».
La II° armée de continuer :
« Attaque de l’ennemi à Berry-au-Bac, Guignicourt. A juvincourt, il n’y a que de faibles forces ».
A peine arrivé dans la zone des combats, le 15° CA, en provenance d’Alsace, est engagé sur les hauteurs et au nord-est de Craonne :
« 2° et 6° DC soutien infanterie 15° CA région Aizelles,Berrieux. Ennemi signalé à Amifontaine et Malmaison ».
En fin d’après-midi, face à l’insistance de la II° armée, Von HEERINGEN commandant en chef de la VII° armée, bien qu’il soit subordonné à Von BÜLOW, met clairement les choses au point :
« Ne pas compter sur une marche du 15° CA sur Berry-au-Bac. Au contraire il faudrait une attaque de l’aile droite de la 2° armée pour dégager la 7° armée ».
Les éléments de renfort de la VII° armée continuent à arriver :
« Arrivée annoncée 9° Corps de réserve (laissé sur Lille par la I° armée) sur Ham ce soir. Engagement profit 1° armée sur Noyon ».
La II° armée fait part de son intention pour le levé du jour le lendemain :
« 2° CC pour 7° armée. 2° armée a conservé ses positions et s’y maintiendra le 15. Le 12° corps (en provenance 3° armée) passera l’Aisne à 06h00 le 15 et attaquera vers l’Ouest. QGA reste à Warmériville ».
Au-delà de l’incertitude dans l’issue des combats, le Commandement Suprême va connaître en ce début de soirée un véritable coup de tonnerre.
Suite à la retraite des armées, les jeunes de l’état-major général s’en émeuvent et s’en ouvrent auprès du chef de cabinet militaire du Kaiser. Il propose que Von MOLTKE soit remplacé par le général Von FALKHENHAYN.
Ministre de la Guerre, celui-ci avait déjà été prévu, courant août, pour prendre la direction des armées en cas de défaillance de MOLTKE.
L’Empereur valide cette proposition et congédie MOLTKE, sanctionnant ainsi l’échec dans la direction des armées et leur défaite. Cette décision restera secrète pendant plusieurs semaines encore afin de ne pas troubler l’opinion allemande.
Côté allié, l’exploitation s’essouffle. Les raids de cavalerie poussés jusqu’à Sissonne n’ont pu tenir le terrain et ont même dû se replier pour ne pas être cernés
Les efforts anglais pour s’emparer du Chemin des Dames restent vains. La poussée souhaitée par JOFFRE pour dégager largement Reims n’aboutira pas. La ville reste à portée de canons dont les premiers obus touchent la cathédrale le lendemain de l’entrée de FRANCHET d’ESPERAY dans la capitale Champenoise (rappelons-le le 13).
Sur la droite, la 6° armée n’a que peu progressé. Une concentration de forces commence dans la région de Beauvais et d’Amiens.
A l’est de Reims, là encore peu de progrès du fait des fortes lignes de défense qu’ont constitué les Allemands, mais aussi de l’usure des armées françaises.
Par ailleurs, tout comme les armées allemandes, JOFFRE est confronté à une pénurie de munitions d’artillerie.
Journée du 15 septembre
Dans la nuit, Von KLUCK rend compte de sa situation et de ses intentions dès que le 9° corps de réserve sera arrivé dans sa zone :
« Toute la journée, la I° armée a subi de fortes attaques des Français et des Anglais sortant de Vic, Soissons, Condé, Vailly et les a toutes repoussées. Les troupes sont fatiguées par les combats et les marches mais encore en parfait état pour attaquer. Elles passeront à l’attaque aussitôt arrivée du 9° Corps de réserve. QGA Vauxaillon ; 9° CA Nampcel, Morsain ; 4° Corps de réserve Nouvron ; 4° CA Cuisy, Pasly ; 2° CA Cuffies, Vregny 3° CA Condé ; EM 2° CC et 9° DC Chivy ; 2° DC et DC Garde Saint-Erme ; 4° DC Blérancourt (nord Nampcel) ».
Mais le Commandement Suprême reste particulièrement préoccupé par la situation de la I° armée et envisage le pire comme l’atteste le télégramme adressé aux II° et VII° armées :
« Si 1° armée ne peut pas conserver sa position sur l’Aisne, elle devra se retirer à temps dans la direction générale de La Fère (sur l’Oise au Sud de Saint-Quentin). Le 9° Corps de réserve sera en échelon derrière l’aile droite. Dans cette hypothèse, les 2° et 7° armées tiendront la ligne Reims, Laon. Pour 2° armée : accord pour une attaque 2° armée pour dégager 7° armée ».
Fort de l’aval du Commandement Suprême, Von BÜLOW donne ses directives en début d’après-midi :
« Entrée en action de la gauche de la 1° armée dans le combat de la 7° armée extrêmement désirable »
« Attaque du 15° CA et du 12° CA ont contraint Français à se retirer des hauteurs de Craonne. Victoire serait complète si 2° et 3° CA attaquent en direction de Fismes »
Réponse de Von KLUCK :
« Aile gauche est contenue par des forces ennemies importantes. Attaque impossible ».
Il faudra encore patienter pour que la situation soit rétablie et la liaison assurée entre les I°, VII° et II armées. L’arrivée, dans la soirée, du 18° CA en provenance de la IV° armée le permettra.
Cet ultime renfort mettra fin à la situation critique des armées allemandes, ainsi qu’un terme aux opérations connues sous le nom de bataille de la Marne.
De l’Oise à la frontière suisse les combats se figent. Les vues des états-majors des deux camps se tournent déjà vers l’Ouest et le Nord où de nouvelles opérations vont être lancées, chacun voulant déborder l’aile de l’autre, d’où « la course à la mer » qui se déroulera de la mi-septembre à la mi-novembre 1914.
Mais ceci est une autre page d’histoire.
Epilogue
Ainsi s’achève le récit du suivi de la bataille de la Marne.
Pendant les trois semaines que durèrent les opérations préliminaires et la bataille elle-même, les écoutes secrètes françaises auront contribué à renseigner le grand quartier général de JOFFRE et à l’éclairer sur les intentions de l’ennemi.
Si un vibrant hommage fut rendu par JOFFRE à ses armées en termes élogieux, « vous avez bien mérité de la Patrie », l’engagement et les résultats obtenus par le service des écoutes et du chiffre français restèrent dans le plus grand secret pendant plusieurs années, voire des décennies.
Par la publication quotidienne relatant le fruit de leur travail, nous avons tenu à le faire connaître et reconnaître. Nous espérons y être parvenus.
Au-delà des hautes compétences que l’on retrouve chez les différents spécialistes qui servent aujourd’hui dans l’armée de terre, ce secret et l’anonymat qui entourent celles et ceux qui œuvrent « chez les grandes oreilles » sont une spécificité totalement assumée.
Simplement, au vu de ce qui a été narré tous ces jours-ci, ne les oublions pas.
Comme leurs aînés, ils contribuent, aussi et encore, à renseigner et éclairer les plus hautes autorités de l’état, civiles comme militaires.
Fin
J-M D