Association de la guerre électronique de l’armée de terre

Dossier spécial : 54° Régiment de transmissions
16 juin 2014.
« Les Traqueurs d’ondes »
Le 54e régiment de transmissions est un régiment unique en son genre. A vocation essentiellement tactique en appui des unités au contact, spécialisé dans le renseignement d’origine électromagnétique et l’attaque des réseaux radioélectriques adverses, il est rattaché à la brigade de renseignement depuis 1993, brigade spécialisée ressortissant du commandement de la force terrestre. Il dépend pour emploi du chef d’état-major des armées.
Son histoire
Comme tous les régiments de transmissions, le « 54 » trouve ses origines dans les bataillons de sapeurs télégraphistes qui ont donné naissance au 8e régiment du génie créé en 1912, tant dans sa vocation de télécommunications que dans celle de guerre électronique. Ce régiment est notamment à l’origine de tous les régiments mis sur pied après la création de l’arme de transmissions en 1942.
C’est d’ailleurs sa première vocation qui généra la seconde au début de la Première Guerre Mondiale dans le cadre de l’appui tactique des unités en première ligne.
Début 1915, un chef de section de téléphonistes du 210e régiment d’infanterie est alerté par ses hommes suite à des phénomènes de diaphonie sur leurs lignes téléphoniques avec, parfois, des conversations en langue étrangère. Intrigué, le lieutenant DELAVIE, professeur de sciences dans le civil et passionné d’électricité, imagine un système de prise de terre sur laquelle il branche un haut-parleur de téléphone, car les lignes téléphoniques de campagne utilisent, à cette époque, la terre comme second conducteur.
Il réussit à percevoir la conversation entre deux correspondants du régiment. Rapprochant son système de captage dans la tranchée de première ligne, il perçoit, cette fois, des conversations en allemand. Il comprend immédiatement l’intérêt de sa découverte.
Ayant convaincu son chef de corps et l’officier du service télégraphique de 1ère ligne et avec leur appui, il étend son dispositif aux régiments de sa brigade puis c’est tout son corps d’armée et la 1ère armée dans le secteur de Verdun qui bénéficient de cette invention qu’il ne cesse de perfectionner.
Les résultats sont exceptionnels sur les intentions allemandes : préparation d’attaques ou de coups de main, comptes rendus d’artillerie, relèves d’unités, difficultés de ravitaillement, etc. Son invention sera généralisée sur l’ensemble du front au sein des troupes françaises, mais également anglaises et belges qui développeront leurs propres matériels.
Bien des « poilus » ou des « tommies » lui doivent la vie grâce aux alertes que les « écouteurs » diffusent immédiatement auprès du chef de secteur. Cette capacité de renseignement perdure jusqu’à l’armistice et est même étendue à l’interception de la télégraphie par le sol en mars 1918.
La filiation directe du régiment remonte à 1920 au Maroc, où le 41e bataillon du génie (BG) est créé à Rabat. Début 1921, celui-ci comporte 3 compagnies et une section hors rang. Elles assurent les liaisons de commandement et sont réparties sur le territoire à Casablanca (1e Cie), dans la région du Tafilalet (2e Cie) et autour de Marrakech (3e Cie).
La dissidence rifaine et les destructions qu’elle opère sur les réseaux fixes contraignent les autorités à un renforcement du 41e BG. En 1925, le 44e BG est envoyé au Maroc et dissout peu de temps après. Ses unités sont absorbées au sein du 41e BG qui voit ses implantations s’étendre à Fès (4e Cie) et dans la région de Taza (5e Cie). Cette cinquième compagnie sera dissoute en 1929 et le bataillon conservera son organisation à 4 compagnies jusqu’à la seconde guerre mondiale en mettant en œuvre l’ensemble de la panoplie des moyens existants à l’époque, notamment les postes radio TSF portatifs.
Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, le bataillon met sur pied à la mobilisation à partir de la 1ère compagnie à Casablanca huit nouvelles compagnies. Ces compagnies sont endivisionnées et déployées sur d’autres théâtres et d’autres fronts. Après la bataille de France et l’armistice, les effectifs et les matériels de l’armée française connaissent une réduction drastique sous le contrôle de la commission d’armistice. Au Maroc, le 41e BG retrouve son organisation à 4 compagnies. Pour conserver ses effectifs, les transmetteurs sont transférés au sein de l’office chérifien des PTT, mais restent sous contrôle militaire. Certains cadres rejoignent le cadre spécial temporaire des transmissions au Maroc. Après le débarquement américain en Afrique du Nord, certaines compagnies du 41e BG sont endivisionnées.
La 3e compagnie devient la compagnie de transmissions 88/84 (CT 88/84) le 1er avril 1943 et se trouve attachée à la 4e division marocaine de montagne (4e DMM) comme CMT 88/84.
Après trois mois d’entraînement, elle débarque en Corse puis rejoint le Corps expéditionnaire français dans la région du Monte Casino où elle est engagée avec la CT 808 en charge des écoutes.
Elle participe avec la 4e DMM à la campagne en France, en Allemagne et jusqu’en Autriche.
Pour l’ensemble de ses services exceptionnels, elle sera citée à l’ordre de la division ce qui lui vaudra l’attribution de la croix de guerre 39-45 avec étoile d’argent. Après la démobilisation, elle fusionnera avec la CT 89/94 pour donner naissance à la compagnie mixte de transmissions 54 (CMT 54) rattachée au 47e bataillon de transmissions (BT). Devenu 54e BT en 1955, il est engagé en Algérie jusqu’en 1964, année de sa dissolution.
Recréé en 1967 à Verdun, il devient régiment en 1969 et reçoit son drapeau sur lequel figurent les inscriptions « Allemagne 1945 » en hommage à la CMT 88/84 et « AFN 1952-1962 » en souvenir du 54e BT. Il est transféré à Essey-lès-Nancy en 1976 comme régiment du 1er corps d’armée et équipé au début des années 1980 du nouveau système de transmissions RITA. Il est dissout en 1985.
Dès 1986, le 54e RT est recréé à Haguenau suite à une réorganisation des moyens de guerre électronique de l’armée de terre. Sa mise sur pied est réalisée à partir des 3e, 4e et 5e compagnies du 44e RT stationné à Landau (RFA). Il se voit équipé du nouveau Système de Guerre Electronique de l’Avant (SGEA) étudié tout particulièrement pour faire face aux réseaux VHF des forces du Pacte de Varsovie. Mais la disparition du Pacte et la reprise des opérations extérieures nécessitent des moyens plus légers. C’est avec ceux-ci, que le régiment mettra sur pied un détachement (détachement « Naja ») qui sera engagé au sein de la division Daguet dans la guerre du Golfe dès novembre 1990.
Le régiment aujourd’hui
Organisé sur la base de quatre compagnies de guerre électronique (CGE) dites « métier » et d’une compagnie « SIC » (système d’information et de communication), le « 54 » a pour mission de fournir l’appui électronique au niveau tactique, voire opératif, dans le cadre de sous-groupements de renseignement multi-capteurs (SGRM) pour répondre au besoin en renseignement d’une brigade interarmes et de mettre sur pied un bataillon de renseignement multi-capteurs (BRM), élément organique divisionnaire de circonstance.
Pour cette dernière mission, il bénéficie de renforts spécialisés des autres régiments de la brigade de renseignement : 2e régiment de hussards pour le renseignement d’origine humaine (ROHUM), 61e régiment d’artillerie pour le renseignement d’origine image (ROIM) et 28e groupe géographique pour l’appui géographique. Avec les 2e RH et 61e RA, il assure cycliquement, dans le nouveau cadre de l’alerte « Guépard », la mise sur pied d’un « SGRM ».
Dans sa fonction « métier », il dispose d’une capacité à armer des détachements d’appui de guerre électronique (DETAE) plus ou moins importants afin de faire face aux différentes conditions d’engagement. Ses matériels, répartis à l’identique au sein des quatre unités élémentaires, vont des moyens légers, portables à dos d’hommes ou transportés en coffrets dont les patrouilles légères d’appui électroniques (PLAE) sont dotées, aux systèmes intégrés dans des véhicules blindés.
Quelles que soient les circonstances d’engagement et la taille du détachement, l’organisation mise sur pied permet de satisfaire les quatre temps du cycle du renseignement : orientation, recherche, exploitation, diffusion.
Un personnel hautement entraîné
A l’instar du 44e RT, son personnel regroupe les différentes spécialités du domaine du renseignement électromagnétique et de guerre électronique, notamment pour ce dernier aspect, dans l’attaque des réseaux radioélectriques. Chaque spécialiste, que ce soit dans l’interception, la localisation, le brouillage, l’analyse des signaux, les langues ou l’exploitation des informations recueillies, reçoit une formation adaptée aux matériels qu’il est amené à servir.
Durant son affectation au régiment, il peut être conduit à mettre en œuvre différents types de matériels, du plus léger au plus lourd.
Compte tenu du large spectre des conditions d’engagement et de la diversité des moyens à mettre en œuvre, une sélection toute particulière est opérée pour l’armement des détachements et le service des matériels.
Du fait de l’appui direct des unités interarmes au sein desquelles les DETAE sont intégrés, la résistance physique et les techniques de combat font l’objet d’un entraînement et d’une attention spécifiques.
Afin de créer une symbiose certaine avec ces unités interarmes ou interarmées, les personnels du régiment participent régulièrement aux exercices et aux contrôles opérationnels de ces unités lors de leur passage dans les centres d’entraînement tactique (CENTAC) ou en zone urbaine (CENZUB), voire dans certains autres centres spécialisés, ou lors de missions particulières.
Pour préparer leur projection sur un plan technique, les spécialistes du régiment s’appuient sur le centre de préparation opérationnelle de guerre électronique (CPOGE) organiquement rattaché au 54.
A cette fin, le CPOGE dispose des retours des détachements durant toute la durée de leur engagement en opérations extérieures avec, si nécessaire, l’appui de la direction du renseignement militaire.
Pour l’état-major du régiment, l’entretien des connaissances et des savoir-faire s’effectue dans le cadre d’exercices régimentaires. Pour tout ce qui touche à la mise sur pied de sous-groupements ou de groupements de renseignement multi-capteurs et au BRM, les cadres participent à des exercices organisés par la brigade de renseignement ou par le commandement de la force terrestre.
Formation unique en son genre, le régiment assure seul la relève de ses personnels sur les différents théâtres d’opérations.
Présent partout (où des forces françaises sont engagées)
Si sa participation à la guerre du Golfe au sein de la division DAGUET constitua son premier engagement opérationnel, depuis lors, le 54e RT est de toutes les projections ou missions spécifiques de courte durée.
Du Moyen-Orient aux Balkans en passant par l’Afrique, ses détachements d’appui électronique ont fourni de très précieux renseignements et parfois leur contribution s’est avérée déterminante dans la réussite d’opérations de combat, voire dans la sauvegarde de certaines unités, notamment en Afghanistan.
Les résultats obtenus et les éminents services rendus sur le théâtre afghan ont valu au 54 d’être cité à l’ordre du régiment avec attribution de la croix de la valeur militaire avec étoile de bronze parachevant ainsi les nombreuses récompenses individuelles.
Aujourd’hui engagé au Sahel et au centre de l’Afrique au sein de groupements tactiques, le régiment continue à fournir ses précieux renseignements, tant en termes de situation que d’alerte. Cet appui est devenu indispensable comme le dit le général sous-chef « opérations » de l’état-major des armées : « pas un pas sans appui électronique ».
Résolument tourné vers l’avenir, toujours à l’affut des évolutions technologiques en matière de télécommunication et de son corolaire en matière d’interception, les « traqueurs d’ondes » s’inscrivent dans les pas de leurs illustres aïeux comme les « écouteurs » de 14-18 ou les transmetteurs des campagnes au Maroc au début du XXe siècle ou de la seconde guerre mondiale. Plus que jamais, le 54e régiment de transmissions peut poursuivre sereinement son chemin, aux côtés des forces terrestres ou interarmées, fier de sa devise « il n’affirme rien qu’il ne prouve ».
J-M D
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