Cent ans déjà : l’Allemagne déclarait la guerre à la France

3 août 2014.

 

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. Tous les médias nous le rappellent en cette triste date anniversaire.

Si la plupart des gens rapproche le déclenchement de cette apocalypse à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914 à Sarajevo, bien peu connaît les termes et motifs de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France.

Cet article s’attache à le rappeler, ou pour certains, à le révéler.

Après la crise des douze jours fin juillet 1914 faisant suite à l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie lancé à la Serbie, le 31 juillet, l’Allemagne proclame l’état de danger de guerre face à la mobilisation générale de la Russie et dans la foulée, le 1er août, décrète la mobilisation générale et déclare la guerre à la Russie.

Proclamation de l’état de guerre signée par l’Empereur Guillaume II le 31 août 1914

La proclamation est contre-signée par le Chancelier Bethmann-Hollweg. Elle sera publiée le 1er août 1914

La France, alliée du Tsar, fait l’objet de multiples provocations sur son territoire de la part des Allemands qui cherchent à lui faire porter la responsabilité du déclenchement des hostilités afin d’emporter le neutralité de l’Angleterre.

Plusieurs incursions des troupes allemandes seront rapportées, notamment celle du 2 août 1914 près de Joncheray (situé dans le Territoire de Belfort à près de 10 kms en territoire français) où une patrouille du 5e régiment de chasseurs allemand est prise à partie par un détachement du 44e régiment d’infanterie français. Cette confrontation se soldera par la mort du caporal PEUGEOT qui est considéré comme le premier tué français de la guerre, guerre qui n’a pas encore commencé sur le plan juridique.

La notification officielle de l’état de guerre entre l’Allemagne et la France interviendra le lendemain 3 août à 18h.45 par une audience de l’ambassadeur d’Allemagne au Quai d’Orsay .

Voyons en les termes et les motifs invoqués, à travers les minutes de cet entretien :

« Paris, le 3 août 1914

Monsieur Von SCHOEN, Ambassadeur d’Allemagne à Paris

à Monsieur VIVIANI, Ministre des Affaires Etrangères

Les autorités administratives et militaires allemandes ont constaté un certain nombre d’actes d’hostilité caractérisés commis sur le territoire allemand par des aviateurs militaires français. Plusieurs de ces derniers ont manifestement violé la neutralité de la Belgique en survolant le territoire de ce pays. L’un a essayé de détruire des constructions près de Wesel, d’autres ont été aperçus sur la région de l’Eiffel, un autre a jeté des bombes sur le chemin de fer près de Karlsruhe et Nuremberg. Je suis chargé et j’ai l’honneur de faire connaître à Votre Excellence qu’en présence de ces agressions, l’Empire allemand se considère en état de guerre avec la France du fait de cette dernière Puissance. J’ai en même temps l’honneur de porter à la connaissance de Votre Excellence que les autorités allemandes retiendront les navires marchands français dans les ports allemands, mais qu’elles les relâcheront si dans les 48 (quarante-huit) heures la réciprocité complète est assurée. Ma mission diplomatique ayant pris fin, il ne me reste plus qu’à prier Votre Excellence de vouloir bien me munir de mes passeports et de prendre les mesures qu’Elle jugerait utiles pour assurer mon retour en Allemagne avec le personnel de l’ambassade ainsi qu’avec le personnel de la légation de Bavière et du consulat général d’Allemagne à Paris. »

S’il est vrai qu’un avion français a survolé le territoire allemand, car perdu en raison des nuages et obligé de se poser près de Dieuze, les motifs sont évidemment faux. Le représentant du royaume de Bavière démentira d’ailleurs les allégations relatives au bombardement sur Nuremberg.

Pour la petite histoire, les directives en vue de cet entretien ont été adressées à l’ambassade d’Allemagne par radio (ou TSF à l’époque). La tour Eiffel, qui interceptait les correspondances diplomatiques, a pu brouiller la réception de leur contenu ce qui permit de gagner quelques heures pour poursuivre la concentration des troupes françaises aux frontières, mais également de faire connaître au gouvernement de la République la teneur de ces directives avant l’audience officielle du fait des nombreuses répétitions (voire des précisions demandées également à Berlin par liaison téléphonique qui était aussi écoutée par les Français). On trouve trace de ces perturbations entre l’ambassade et le ministère des affaires étrangères à Berlin par les comptes rendus du service du chiffre allemand qui alerte la chancellerie que les échanges avec Paris sont brouillés.

De son côté, le 4 août à 14h.00, la France informait, de son état de guerre avec l’Allemagne, les Puissances signataires des conventions et traités de Londres et de La Haye en ces termes :

Notification du Gouvernement français à toute les Puissances de l’état de guerre entre la France et l’Allemagne

« Le Gouvernement impérial allemand,

• après avoir laissé ses forces armées franchir la frontière et se livrer sur le territoire français à divers actes de meurtres et de pillage,
• après avoir violé la neutralité du Grand-Duché de Luxembourg* au mépris des stipulations de la convention de Londres du 11 mai 1867 et de la convention V de La Haye du 18 octobre 1907, sur les droits et devoirs des Puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre (art. I et II), conventions signées de lui,
• après avoir adressé un ultimatum au Gouvernement royal de Belgique, tendant à exiger le passage des forces allemandes par le territoire belge**, en violation des traités du 19 avril 1839, également signés par lui, et de la susdite convention de La Haye ;

a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914 à 18h.45.

Le Gouvernement de la République se voit, dans ces conditions, obligé de son côté, de recourir à la force des armes.

Il a, en conséquence, l’honneur de faire savoir par la présente, au Gouvernement de….que l’état de guerre existe entre la France et l’Allemagne à dater du 3 août 1914, 18h.45. Le Gouvernement de la République proteste auprès de toutes les nations civilisées, et spécialement auprès des Gouvernements signataires des conventions et traités sus rappelés, contre la violation par l’Empire allemand de ses engagements internationaux ; il fait toutes réserves quant aux représailles qu’il pourrait se voir amener à exercer contre un ennemi aussi peu soucieux de la parole donnée.

Le Gouvernement de la République, qui entend observer les principes du droit des gens, se conformera durant les hostilités, et sous réserves de réciprocité, aux dispositions des conventions internationales signées par la France, concernant le droit de la guerre sur terre et sur mer.

La présente notification, faite en conformité de l’article 2 de la IIIe Convention de La Haye du 18 octobre 1907, relative à l’ouverture des hostilités est remise à …. »

Par ces documents, le premier conflit mondial de l’ère technologique est engagé. Il fera près de 18 millions de morts et disparus (respectivement 10 et 8) et environ 21 millions de blessés de par le monde. Ils annoncent également la fin de la puissance du continent Européen.

* les troupes allemandes ont pénétré au Grand-Duché de Luxembourg le 2 août à 06h.00.

** suite au refus du Roi le 3 août, les premières unités allemandes entreront en Belgique le 4 août. La Belgique fera appel, ce jour même, aux Puissances garantes, notamment l’Angleterre et la France, pour l’aider à combattre l’envahisseur.

J-M D