Association de la guerre électronique de l’armée de terre
HOMMAGE AUX HOMMES DE L’OMBRE
3 janvier 2015.
Depuis quelques années, le commandement des forces terrestres a décidé de donner un parrain à chaque promotion d’engagés volontaires initiaux (EVI) dans les brigades interarmes ou spécialisées.
La promotion 2015 des EVI de la brigade de renseignement aura pour parrain Pierre HOFF, écouteur-interprète dans le service d’écoute téléphonique de première ligne, tué le 3 septembre 1916 à la cote 304 près de Verdun.
Vous trouverez ci-dessous une présentation de ce service méconnu ainsi qu’une brève biographie de Pierre HOFF.
Bonne lecture.
JM D
Du Lieutenant DELAVIE officier réserviste inventif
au Soldat « écouteur-interprète » Pierre HOFF
De la genèse…
En cette année 2015, nous commémorerons le centenaire d’un épisode déterminant de la Grande Guerre. Il ne s’agit pas d’une bataille sous un déluge de feu et d’acier qui aurait fait des dizaines de milliers de victimes ou qui aurait amputé d’une partie le territoire national.
C’est un évènement beaucoup plus discret, qui a été maintenu sous le sceau du secret dans un cercle restreint de personnes ayant le besoin d’en connaître, selon l’expression consacrée.
Mais cet évènement a bouleversé l’affrontement que se livraient les deux camps sur le front occidental dans « la guerre du renseignement ».
La capacité d’intercepter les communications téléphoniques allemandes de première ligne est le résultat d’un constat et de l’imagination d’un homme. En effet, dans la région d’Apremont près de Saint-Mihiel, le lieutenant DELAVIE chef de section téléphoniste au 210e RI, constate que parfois plusieurs conversations se mélangent sur une même ligne avec, ponctuellement, des mots en allemand.
Professeur de sciences à l’école des métiers de Vierzon, il se passionne pour l’électricité. Après réflexion, il pense que « ces mélanges » sont dus à l’utilisation de la terre comme conducteur de retour, aussi bien côté français que côté allemand.
- central téléphonique allemand
Alors jaillit l’idée lumineuse de planter des piquets de terre au plus près de la tranchée de première ligne allemande et de relier un haut-parleur « bricolé » à ces piquets par une ligne totalement isolée du sol. Les résultats sont exceptionnels : comptes rendus d’artillerie, relèves des troupes, préparations d’attaque, identifications des unités etc.
Le système se développe et devient réglementaire fin juin au sein de son corps d’armée (le 8e). Il sera étendu par la suite à l’ensemble des armées françaises et alliées.
- poste d’écoute téléphonique en 1915
…Au devoir de mémoire
A Verdun, les postes d’écoute téléphonique, installés dès septembre 1915, alerteront le commandant de la région fortifiée de Verdun sur les préparatifs d’attaque allemande et leur montée en puissance. Ils lui permettront également d’argumenter ses demandes de renforts en effectifs et en artillerie à un moment où le GQG ne croit pas vraiment à une attaque d’importance sur cette partie du front. Près d’une trentaine de postes d’écoute seront déployés sur le secteur de Verdun.
- postes d’écoute téléphonique - région de Verdun - fin 1915
Quelques semaines, voire quelques jours avant le déclenchement de l’attaque allemande, les postes d’écoute, ou le service extérieur, ou bien encore le service spécial, comme on les appelait afin de camoufler l’origine des renseignements qu’ils fournissaient, ont indiqué l’arrivée de troupes ennemies nouvelles dans leur secteur, signalé des travaux d’organisation du terrain et la construction d’abri visant à dissimuler les préparatifs de l’attaque, alerté sur le déclenchement de bombardement d’artillerie, d’éclatement de mines, de coup de main et de sorties de patrouilles ou bien encore de corvées aux tranchées.
Jamais autant d’indices d’activité, autant de renseignements n’avaient été jusque-là rassemblés. Bon nombre d’entre eux était confirmé par l’interrogatoire de prisonniers ou de déserteurs.
Pour armer ces postes d’écoute, le commandement lança une prospection recherchant du personnel maîtrisant la langue allemande parlée et écrite.
C’est dans cette conjoncture que Pierre HOFF est recruté.
Mais qui est Pierre HOFF ? Comment s’est-il retrouvé dans le service spécial ?
- Pierre HOFF alias HOTTIER
Originaire du « Reichsland Elsaß-Lothringen » (Alsace-Moselle annexée par l’Empire allemand en 1871), Pierre HOFF est né le 19 septembre 1873 à Styring-Wendel. Sa famille patriote et très pieuse rejoint la France à la fin de son adolescence. Ayant fait sa scolarité et une partie de ses études en Allemagne, il parle et écrit couramment les deux langues.
Après avoir suivi les cours du Noviciat de l’Institut St Jean-Baptiste de la Salle à Reims, qui le conduisit à Longuyon, à Soissons, puis à nouveau Reims, il se fixe dans la capitale Champenoise et devient, en tant que Frère arateur Gabriel des Ecoles Chrétiennes, maître du cours industriel, en particulier sur métier à tisser mécanique. C’est là que son ordre de rappel le trouve lors de la mobilisation. Il rejoint le secteur de Verdun au sein du 44e régiment d’infanterie territoriale comme brancardier dans un poste de secours de compagnie.
S’étant porté volontaire en juillet 1915 pour enseigner aux enfants alsaciens évacués des territoires conquis en Haute Alsace, sa candidature est rejetée.
En septembre 1915, cette fois, ses compétences linguistiques sont retenues, mais pour une toute autre activité : le voici sélectionné pour devenir écouteur-interprète dans un poste d’écoute téléphonique.
Compte tenu de ses origines mosellanes et afin de le rendre moins suspect auprès de ses camarades et de lui assurer une certaine protection en cas de captivité, un nom d’alias lui est donné sur décision ministérielle : dorénavant il s’appellera Pierre HOTTIER. Tout fut fait pour crédibiliser sa nouvelle identité. Le nom de HOTTIER était connu dans le Verdunois. Plusieurs individus portant ce patronyme furent mobilisés dans les unités engagées dans la région de Verdun. Sa fiche matricule porte un numéro de recrutement de Verdun, sa plaque d’identité était au nom de Pierre HOTTIER et portait le matricule 1094 - Verdun.
Sa première affectation le conduit dans la région au nord de Verdun. Le 23 septembre, dans une lettre, on peut lire : « Connaissant le langage boche, on m’a bombardé interprète à un poste d’écoute… Mon nouveau poste est très dangereux. Jugez-en vous-même. Je loge dans une sape à 25 mètres des Boches. Il n’y a plus de réseaux, mais seulement quelques chevaux de frise. Toute la journée, les bombes, les minnen, les crapouillots et les torpilles tombent autour de moi. Je rends peut être des services, mais si je sors vivant de cette position, je suis veinard. Plus que jamais, je me recommande à Dieu et à vos bonnes prières, car je mets ma confiance en Dieu seul. Le sacrifice de ma vie étant fait, je vis tranquille dans mon trou. Ayant changé de contrée, j’ai changé de nom ; on ne me connaît que sous le nom de HOTTIER ».
Son comportement avant l’attaque lui vaudra, le 26 janvier 1916, une citation du général commandant la 72e division d’infanterie : « Se dépense sans compter depuis plus de cinq mois dans la recherche des renseignements sur l’ennemi, fait preuve d’autant de courage que de dévouement, et s’expose aux feux les plus violents pour assure son service ».
- extrait du JMO de la Région Fortifiée de Verdun (RFV) - 12 février 1916
Fort des renseignements qu’il connaît, il fait savoir à ses confrères quelques jours avant l’attaque, de partir coûte que coûte, sans pouvoir leur en préciser la raison.
Lors de l’attaque du 21 février 1916, il se trouvera au poste d’écoute du bois des Caures aux côtés du lieutenant-colonel DRIANT et de ses chasseurs à pied. Le 24 février, après que l’ennemi se soit emparé du bois des Caures malgré une résistance héroïque des chasseurs de Driant, il écrit : « Louons la providence ! Bénissons la Sainte Vierge ! J’ai encore échappé cette fois-ci. Quel enfer ! Tous les moyens sont bons pour ces barbares : gaz de tous genres, liquides enflammés…Quelle boucherie ! Prions pour que ce fléau cesse ».
Quelques semaines plus tard il se trouve au repos. Une nouvelle note recherchant des enseignants pour les jeunes Alsaciens paraît. Pierre HOFF se porte à nouveau volontaire. Comme lors de sa première demande, sa candidature est refusée. Il rejoint son ancien secteur au nord de Verdun.
Le 30 mars 1916, il est affecté au 31e régiment d’infanterie territoriale. En mai 1916, il se trouve sur la rive gauche de la Meuse où, écrit-il, « je viens de passer une période pénible du côté d’Avocourt,… » et « des résultats surprenants m’ont tiré des félicitations de tous mes chefs, depuis le général commandant le corps d’armée jusqu’au lieutenant ».
Outre ses fonctions d’interprète, son domaine de compétence s’est élargi au perfectionnement des installations et à la formation d’élèves écouteurs. A un de ses anciens élèves qui le félicitait pour sa croix de guerre, il répondit « J’ai la croix de guerre, oui, mais je crois que j’aurai bientôt une croix de bois ».
Prémonition ? Coup du destin ?
Vers la fin août, une note prescrit d’aller faire des essais aux Eparges. Pierre HOFF se trouvait en permission lorsque cette note est arrivée. Un autre écouteur, monta en ligne à sa place.
Deux jours plus tard, Pierre HOFF est de retour dans le secteur. Il apprend qu’une nouvelle citation lui a été accordée. Il devrait recevoir d’ici peu la palme sur sa croix de guerre pour le motif suivant : « depuis plus d’un an dans le service spécial de première ligne, donne le meilleur exemple à ses camarades, se proposant sans cesse pour les missions périlleuses, au cours desquelles il fait preuve d’autant d’entrain que de bravoure ».
Le 31 août, il écrit à son directeur d’école à Reims : « Demain, je retourne à la cote 304. Aurai-je du succès ? J’en doute. C’est un coin assez mauvais ».
Le 3 septembre, en allant reconnaître un emplacement pour installer une prise de terre, il est tué par une balle en plein front d’après la lettre annonçant son décès. Sur sa fiche matricule, les circonstances du décès stipulent : tué par éclats d’obus. (Cet écart notable dans la cause du décès était une pratique assez courante afin de tranquilliser la famille du défunt sur l’absence de souffrance lors de la mort et le maintien de l’enveloppe charnelle)
Pierre HOFF fut inhumé au cimetière militaire du château d’Esnes-en-Argonne avec son nom d’alias comme épitaphe. Le cimetière de guerre s’est transformé en nécropole nationale. Il y repose encore aujourd’hui.
Le choix de Pierre HOFF pour parrainer la promotion 2015 des EVI de la brigade de renseignement est un bel hommage à nos grands anciens qui sont restés dans l’ombre de l’histoire pour des raisons de conservation du secret, mais il est également une première leçon d’humilité pour ces jeunes engagés qui ont décidé de rejoindre le domaine du renseignement.
JM D
- Tombe de Pierre HOFF en 1916 inhumé sous son nom d’alias HOTTIER