Association de la guerre électronique de l’armée de terre
Le suivi de la bataille de la Marne par les écoutes secrètes françaises - journée du 1° septembre 1914
1er septembre 2013.
Le 1er septembre matin, la situation des armées allemandes marchant à l’ouest est la suivante, d’ouest en est :
- I° armée de Von KLUCK : sud de la forêt de Compiègne entre Oise et Soissons comme l’atteste le télégramme adressé au 1° corps de cavalerie de la II° armée à 00h15 :
« 4°, 3°, 9° CA passent 8 heures matin ligne Compiègne-Ambleny direction Gilocourt - Villers-Cotterêts (Sud-Est Compiègne) - Longpont (Est Villers-Cotterêts) » .
- II° armée de Von BÜLOW : sud de la Fère, nord de Laon, jusqu’à Sissonne, avec les éléments de tête au nord de Soissons comme l’indiquent deux télégrammes respectivement entre le 1° corps de cavalerie et la II° armée à 05h24 :
« Commandant en chef 1° armée demande coopération du 1° CC Sud Soissons. Notre intention reste Terny-Sorny (Nord de Soissons), Chavignon (Nord-Est Soissons). On demande renseignement sur valeur Fort Malmaison (Sud Chavignon et rive gauche Aisne). Où est aile droite ? .....Répondre immédiatement (signé Richthofen) » ,
puis entre la II° et la III° armées à 08h11 :
« Corps d’aile gauche 2° armée 1° septembre jusqu’à Chivres-en-Laonnois (Nord-Est Laon), Bucy-lès-Pierrepont (Nord Sissonne) » .
- III° armée de Von HAUSEN : à hauteur de Rethel comme le révèle un compte rendu adressé au GQG à 01h00 :
« 3° armée devant fort ennemi en position fortifiée sur coupure Aisne Sud de Rethel, Nord de Semuy (Est de Rethel). 9° DC française près Gomont (Ouest Rethel).
Attaque probablement …2 septembre possible. QG Cavalerie et 12° corps de réserve Château-Porcien (Ouest Rethel), QG 12° CA Biermes (Sud-Est Rethel), QG 9° CA vers le Pré Boulet, QGA Signy-l’Abbaye (Nord Rethel) » .
- IV° armée de Duc de WÜRTTEMBERG : au sud-est de Charleville-Mézières (entre Aisne et Meuse) comme l’indique un télégramme adressé à la II° armée à 01h54 :
« Aile droite 3° armée Sud Château-Porcien. 4° armée continue 1° septembre attaque partant de la ligne Neuville-les-This (Ouest Charleville-Mézières), Day, Le Chesne (Est Semuy), Saint-Pierremont (Est Le Chesne) vers le sud » .
Durant cette première journée de septembre, l’essentiel des télégrammes interceptés vont révéler l’avancée des I° et II° armées.
Côté français, la 5° armée a réussi à bloquer l’action du 1° CC au sud de la Lette et de la forêt de Saint-Gobain et à replier la plus grande partie de ses unités au-delà de l’Aisne et de la Vesle en direction de la Seine, évitant ainsi l’enveloppement craint par JOFFRE. Le 18° CA, désigné pour aller renforcer la garnison de Paris en troupes d’active, ne peut rejoindre la capitale en raison de l’irruption de la cavalerie de la I° armée de Von KLUCK au sud de Compiègne. Pour le remplacer, JOFFRE prélèvera à la 3° armée le 4° CA dont l’arrivée dans la capitale est estimée au 3 ou 4 septembre.
La 6° armée rejoint le camp retranché de Paris et MAUNOURY se met à la disposition du gouverneur militaire de Paris, le général GALLIENI. Par ailleurs, compte tenu de la menace pesant sur Paris, la décision de transférer le gouvernement sur Bordeaux est prise.
Les Anglais poursuivent leur retraite et leur centre de gravité, en ce début de journée, se situe dans la région de Nanteuil-le-Haudoin.
En rassemblant l’ensemble des renseignements fournis par les interceptions et par les reconnaissances de cavalerie et d’aviation, possiblement orientées par les écoutes, JOFFRE commence à bâtir sa manœuvre suite au changement de direction de l’aile droite allemande. Son intention est de faire retraiter l’armée anglaise et la 5° armée, le détachement FOCH et la 4° armée sur une ligne Seine-Aube en s’appuyant à l’ouest sur le camp retranché de Paris et à l’est sur la 3° armée dans la région de Bar-le-Duc, Verdun. Ce dispositif formerait ainsi une poche qui, pense-t-il, donnerait les conditions d’une situation stratégique favorable. Cette conception de la manœuvre est la base de l’instruction générale n° 4 qu’il fait rédiger.
Pendant ce temps, durant la matinée, le 2° corps de cavalerie poursuit son exploration au sud de Compiègne comme le confirment l’accord et les orientations qui lui sont donnés par la I° armée à 10h26 :
« 2° CC d’accord sur direction Verberie, Rully, Baron. Ravitaillement envoyé sur Compiègne. Halte région Nanteuil-le-Haudouin (Sud-Est Baron). Exploration sur Paris et Marne jusqu’à la Ferté-sous-Jouarre (Est Meaux). 4° CA doit atteindre Crépy-en-Valois (Est Senlis). 1° CC est invité à avancer en direction Sud seulement laissant espérer une poursuite efficace. Signé commandant en chef 1° armée » .
et celle-ci d’informer la II° armée à 12h09 :
« 1° armée avance au-delà ligne Verberie-Soissons….Qu’avez-vous comme ennemi devant vous ? » .
Et la II° armée de lui répondre à 12h54 :
« La Fère (sur l’Oise, Est Tergnier) paraît évacuée. Si exact aile droite 2° armée marche le 1° septembre jusqu’à Brancourt-en Laonnois (Nord Soissons), Crépy (Nord-Ouest de Laon), Aulmois-sous-Laon (Nord Laon). Commandant en chef de l’armée marche sur La Ferté-Chevresis (Nord de rivière la Serre, Nord de Laon) » .
Force est de constater un grand décalage entre les I° et II° armées : près de 30 kilomètres, une journée de marche. Cela ne sera pas sans conséquence pour la suite des évènements.
La progression de la II° armée sera encore ralentie du fait de l’aide sollicitée par la III° armée, qui attaque, face à la résistance des troupes et à la menace d’une division de cavalerie françaises à l’ouest de Rethel comme l’atteste le télégramme adressé à la III° armée à 14h49 :
« 2° armée se hâte au secours 3° armée avec Garde et 10° CA. 1° septembre Gizy (Est Laon), Sissonne, Lappion (Est Sissonne) seront atteints. 7° et 10° suivent par Laon » .
La 4° armée, et surtout le détachement FOCH, peuvent s’attendre à de rudes combats lors de l’arrivée de ces renforts.
La retraite de la 5° armée laisse Laon et Condé sans troupes. La II° armée aura tôt fait de s’en emparer comme l’indique un télégramme adressé au 1° CC à 18h23 :
« 7° CA d’après ordre d’armée par suite changement situation invité à prendre demain Laon qui n’est sans doute pas occupée » .
La prise de Laon ouvre de fait la voie sur l’Aisne ainsi que sur Soissons et Reims.
Dans la soirée, un renseignement d’importance parvient au GQG de JOFFRE. Une carte a été trouvée sur un officier allemand blessé et fait prisonnier à Coucy-le-Château (Nord Soissons). Cette carte indique les mouvements de la I° armée et les précisions concernant les objectifs de ses différents corps. Elle confirme que toute la I° armée a franchi, ou est sur le point de franchir, l’Oise. Les écoutes de la nuit confirmeront ces informations et ces objectifs.
Pour la I° armée, son avancée n’est pas aussi aisée qu’initialement envisagée comme le montre un échange de télégrammes entre la II° armée et le 2° CC à 23h00 :
« Ennemi a résisté aujourd’hui à Verberie, Crépy-en-Valois, Villers-Cotterêts, et semble-t-il au Sud de ce point dans les bois de Crépy-en Valois et de la Ferté-Milon ainsi que dans la région Sud de Verberie. L’armée anglaise, 2 régiments artillerie en outre cavalerie » .
Ces échanges entre les I° et II° armées permettent également de connaître l’intention de Von KLUCK :
« 1° armée attaque. 2° CA Ouest voie ferrée Orrouy (près Giloncourt), Nanteuil-le-Haudouin. Exploration vers front Nord-Est Creil - Paris, Est route Creil-Paris. 4° Corps et ...CA Est de cette voie, ligne Verberie, Villers-Cotterêts doit être franchie 08h00 du matin. 2° CC marche entre 2° CA et 4° CA soutenant attaque en accord avec aile gauche du 2° CA. Il couvrira par une forte exploration dès qu’il sera en mesure vers le front Nord et Nord-est de Paris. QG armée Compiègne » .
Tard dans la soirée, JOFFRE reçoit une lettre du Ministre de la Guerre qui lui fait état de propositions anglaises quant à la remontée en ligne des britanniques. Si la démarche de FRENCH est positive, les conditions demandées pour tenir la ligne dans la région de Nanteuil-le-Haudoin sont contraignantes. Mais les évènements de la nuit vont conduire les Anglais à encore reculer.
A suivre demain
J-M D